Sous-marins dits nucléaires

Trente ans de Sous-marins Nucléaires

Article publié le vendredi 22 avril 2005
Extrait de l'ouvrage qui regroupe l'intégralité des conférences présentées lors du colloque "1899 / 1999, un siècle de construction sous-marine" qui s'est tenu les 25 et 26 octobre 1999 à Cherbourg

TRENTE ANS DE SOUS-MARIN NUCLEAIRES

1 - INTRODUCTION Il peut paraître paradoxal qu'un ingénieur de formation aéronautique vienne faire un exposé sur les sous-marins nucléaires, aussi vais-je me placer sous la protection du brave Coelacanthe qui accompagne depuis 1962 le destin des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins français. L'avènement de la propulsion nucléaire a suivi de près l'exploitation par les hommes de l'énergie nucléaire dans les armes utilisées en fin de la deuxième guerre mondiale. Les inventeurs de l'énergie nucléaire se sont penchés très vite sur les applications possibles de cette phénoménale source de puissance. En France, les chercheurs examinent avant la seconde guerre mondiale des solutions possibles de propulsion à partir de l'énergie nucléaire. En 1954, le CEA est doté de moyens lui permettant de concrétiser l'invention de Frédéric Joliot Curie et de travailler sur des chaufferies pour bâtiments de surface, civils ou militaires. En 1954, la mise en service du Nautilus par les Etats-Unis décide le gouvernement à lancer l'étude de système de propulsion nucléaire destinée aux sous-marins. Cette étude fut concrétisée le 18 mars 1960 lorsque la décision de lancement du prototype à terre de réacteur à eau sous pression, plus familièrement connu sous le vocable P.A.T., a été prise. Bien sûr, elle accompagnait la volonté politique affirmée au plus haut niveau de l'Etat de doter la France d'une composante océanique de dissuasion et a mis en place l'organisation Coelacanthe pour la réalisation de ce projet. L'aventure du sous-marin nucléaire en France était déjà bien entamée mais elle était déjà en route au sein d'autres nations : USA, Grande-Bretagne, Russie. 2 - L'AVÈNEMENT DU NUCLÉAIRE DANS LE MONDE SOUS-MARIN L'évolution du sous-marin au lendemain de la seconde guerre mondiale s'est faite dans deux voies bien distinctes : - le perfectionnement du sous-marin conventionnel et la résurgence toujours recommencée des propulsions chimiques indépendantes de l'air ; - une rupture due à l'apparition de la propulsion nucléaire qui ouvrait de nouveaux horizons, jusqu'alors inaccessibles, pour emploi sur le sousmarin. L'évolution a aussi été fortement marquée par deux nouvelles armes, directement issues de la guerre, totalement différentes quant à leur nature et à leur doctrine de mise en oeuvre : - la torpille pouvant être utilisée dans les trois dimensions et munie d'un autodirecteur acoustique ; L'arme ASM adaptée au sous-marin était née ; - l'arme atomique portée par missile. Le sous-marin conventionnel, initialement sur la base du type XXI allemand, ne cesse de se perfectionner (accroissement de l'autonomie en plongée) et devient capable de la lutte anti-sous-marine. Les propulsions chimiques indépendantes de l'air sont de nature à accroître encore son potentiel. En 1954 apparaît le premier sous-marin nucléaire. Ce type de propulsion représente une rupture par rapport à l'existant : les vitesses accessibles en plongée, l'autonomie et l'indépendance vis-à-vis de la surface font progressivement accéder le sous-marin nucléaire d'attaque au rang de "capital ship", capable de contrôler un espace maritime très vaste et d'assurer les missions dédiées aux sous-marins classiques. La conjonction de l'arme atomique et de la propulsion nucléaire fait apparaître le sous-marin nucléaire lanceur d'engins, outil privilégié de la dissuasion nucléaire et forme parachevée du sous-marin spécialisé dans une mission anti-terre. La panoplie des sous-marins actuels est centrée autour de ces trois grandes familles : le sous-marin conventionnel (avec sa variante AIP), le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) et le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE). Qu'en est-il de la politique d'emploi ? Si on laisse à part le cas du SNLE qui est un sous-marin très particulier mono-mission anti-terre, on peut affirmer : sans grand risque que la politique d'emploi n'a pas radicalement changé, mais s'est plutôt confortée et développée en parallèle du progrès technique. Jacobsen a énoncé les missions prioritaires dévolues aux sous-marins nucléaires d'attaque de la marine britannique. En période de tension, le SNA a un rôle dissuasif, en contrôlant et en neutralisant une zone maritime très étendue en raison de sa mobilité. Et en tenant la mer pour de très longues périodes au large des côtes ennemies, en assurant ainsi leur blocus à la façon dont procédèrent les escadres de Nelson au 18ème siècle. Cette politique, qui est fondée sur une tradition multiséculaire, a fait la preuve de son efficacité dans le conflit des malouines en clouant au port la flotte de surface argentine, après le torpillage du croiseur Belgrano. La tradition de l'arme sous-marine américaine procède du même esprit, à ceci près qu'elle s'applique à des espaces maritimes très larges. La politique d'emploi est une politique résolument offensive, les sous-marins étant considérés comme le moyen le plus approprié pour opérer avec efficacité dans des zones hostiles, sans support et sans couverture aérienne, loin dans les défenses de l'ennemi. Le contexte n'a donc pas changé par rapport à la guerre du Pacifique, à ceci près que les performances du sous-marin actuel sont incomparablement supérieures. la forme la plus accomplie du SNA actuel est capable de toutes les missions du sous-marin, dont tout particulièrement : - la gestion, le contrôle, voire l'interdiction de l'espace maritime, avec capacités de rétorsion contre les intrus, bâtiments de surface et/ou sous-marins ; - le soutien de groupes aéronavals ; - la capacité anti-terre, par la mise en oeuvre de missiles (tactiques, de croisière) lancés en immersion ; - le renseignement discret et non compromettant ; - les opérations spéciales et le mouillage de mines. 3 - LES APPORTS DU NUCLÉAIRE Le domaine pour lequel le sous-marin nucléaire présente une différence importante par rapport aux sous-marins conventionnels électriques ou à propulsion chimique est celui de la mobilité. L'énergie nucléaire, donc la grande réserve d'énergie stockée au sein de la chaufferie, permet aux sous-marins de soutenir pendant de longues périodes des vitesses aussi élevées que l'autorisent les critères de discrétion imposés par les évolutions technologiques des senseurs externes susceptibles de le déceler. La notion de vitesse maximale tactique devient un critère des plus importants dans la conception d'un nouveau sous-marin car elle doit être associée aux capacités de détection et de discrétion acoustique. Il en résulte des contraintes à respecter sur les formes extérieures du sous-marin, sur l'intégration de divers senseurs et en particulier des antennes sonar plus ou moins réparties sur la coque et les dispositions de montages discrets des différentes sources sonores embarquées. Bien sûr, la propulsion nucléaire a considérablement réduit l'astreinte des fréquentes remontées à l'immersion périscopique des sous-marins conventionnels, périodes pendant lesquelles ils sont très exposés aux moyens de détection de toute sorte : optique, électromagnétique, infrarouge, acoustique dont peuvent être équipées des forces navales ou des satellites. Par ailleurs des évolutions importantes d'emplois des matériaux de constructions des coques résistantes de sous-marins, acier à haute limite élastique et titane, ont permis d'accroître sensiblement les immersions maximales en opération. Associés aux autres éléments rappelés ci-dessus, les domaines d'emploi immersion vitesse ont été considérablement accrus. L'arrivée du nucléaire et l'impact corrélatif sur l'accroissement très sensible des déplacements des sous-marins qu'elle a permis, augmentent les capacités d'emport de différentes armes qui contribuent, si on fait abstraction du cas bien particulier des SNLE, le contrôle de l'espace sous-marin et la rétorsion anti-navire sans oublier la mission anti-terre mise en pratique lors de la guerre du golfe, il y a quelques années. Pour les SNLE, les capacités d'emport ont également considérablement augmenté au cours des temps, le nombre de missiles balistiques embarqués étant passés de quelques unités à 24 pour l'ex URSS, l'évolution a été moins spectaculaire aux USA car les SNLE ont été dotés de 16 missiles très tôt et les bâtiments de la classe OHIO sont maintenant équipés de 24 missiles. Toutefois, le sous-marin a toujours été confronté au problème difficile de l'intégration des armes, le sous-marin nucléaire n'a pas échappé à cette règle même s'il a apporté plus d'aisance, mais est-ce réel, pour les SNLE, cela demeure pour les SNA une constante préoccupation du concepteur. Une situation plus stable est certes maintenant établie depuis de nombreuses années. Mais le concepteur sera toujours confronté pour des armes nouvelles aux conséquences du choix pour le lanceur ou les conditions de mise en oeuvre Il ne devra également pas sous estimer les exigences de sécurité nucléaire qui *tiennent encore rendre sa tâche plus ardue. 4 - LES OBLIGATIONS Le développement d'un sous-marin nucléaire n'échappe pas à la règle générale qui conditionne l'impératif bien connu pour tous les sous-marins, c'est-à-dire tenir la mer. Le sous-marin permet de garantir une menace imprécise dans le temps et l'espace parce que très difficile à localiser. Cette obligation suppose de maîtriser la sûreté de fonctionnement donc la fiabilité, la sécurité, la maintenabilité. Obtenir un haut niveau de sûreté de fonctionnement impose une ligne de conduite qui s'appuie, sans vouloir être exhaustif, sur : - le retour d'expérience mais sans conservatisme déraisonné, - une innovation limitée au strict nécessaire, faire simple et fiable, - ne pas faire l'impasse de qualifications de solutions innovantes. I1 est également fondamental pour le coût d'exploitation de prendre en compte dès le début de la conception la maintenabilité et de limiter au maximum les périodes d'indisponibilités techniques pour entretien. Si l'énergie nucléaire est remarquablement adaptée au problème du sousmarin, son intégration nécessite toutefois le respect d'un certain nombre d'obligations qui touchent la sûreté nucléaire, la radioprotection, le compartimentage. On voit bien l'importance de la sûreté de fonctionnement pour le nucléaire dont il a été fait état préalablement mais il ne faut pas oublier la sûreté pyrotechnique, la vie en milieu confiné pour une longue période et notamment pour ce qui concerne la régénération d'atmosphère par exemple. 5 - LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE Sans vouloir entrer dans de trop longs développements, je souhaite présenter l'ensemble de la démarche de sécurité nucléaire pendant toute la vie d'un navire mettant en oeuvre l'énergie nucléaire. Le graphique (1) (1) Cf. figure 1 en annexe (NDE). qui vous est présenté déroule les phases touchant la sûreté en fonction des étapes de concrétisation d'un programme et ceci jusqu'au démantèlement. Afin de montrer également l'importance des actions à satisfaire en ce domaine j'ai également fait figurer sur ce même graphique le stade où se trouvent les différentes composantes du programme Coelacanthe. Comme vous pouvez l'imaginer ce volet particulièrement important à traiter demande une attention des plus importantes. Pour satisfaire les objectifs de sûreté il y a obligation à intégrer un certain nombre de redondances pour l'extraction de la puissance produite, la fourniture d'énergie électrique, les moyens de réfrigération ... 6 - LES SOUS-MARINS NUCLÉAIRES DANS LE MONDE Je ne voudrais pas vous imposer une longue énumération des différents sous-marins nucléaires qui ont été ou sont en service au sein des marines qui ont eu accès à ce type de propulsion depuis plus d'un demi siècle. Il convient de citer les pionniers du domaine, les USA, qui ont mis en service le Nautilus en 1954 précédent de quatre ans la première mise en service d'un SNA pour l'ex URSS. Cette période a vu une rapide évolution des différents type de SNA aux usa avec l'arrivée des SEAWOLF SKATE, SKIPJACK, le lancement du premier SNLE, le Georges Washington, en 1959 et simultanément en URSS la première réalisation d'un SNLE type HOTEL. Parallèlement, la Grande-Bretagne s'était lancée dans une étroite collaboration avec les USA, qui a conduit à la signature d'un accord pour la propulsion nucléaire en 1958. Elle a procédé deux ans plus tard au lancement de son premier sousmarin nucléaire le "DREADNOUGHT" et entrepris la construction de sa première série de SNA, "Le Valiant". Son premier SNLE, "Le Résolution", doté de missiles POLARIS A3 a effectué sa première patrouille en 1968, quatre du type ont été construits et remplacés depuis par quatre SNLE de type Vanguard doté de missile trident d5. Trois SNA type Astute sont également en commande. Je ne vous ferai pas l'injure de vous citer l'effort de la France dans ce domaine car l'histoire des sous-marins nucléaires est présente dans cette salle où se trouvent beaucoup d'artisans de cette remarquable époque. Celle-ci, commencée au cours des années 50, a vu initialement une volonté très affirmée des plus hautes autorités de l'Etat pour la réalisation de la première composante océanique de la dissuasion. Cette volonté a été concrétisée par la création de la délégation ministérielle de l'armement et au sein de celle-ci la mise en place de l'organisation Coelacanthe. La démarche française a été originale par rapport à celle des autres nations qui avaient commencé par concevoir et réaliser des sous-marins nucléaires d'attaque avant de s'attaquer à la construction des sous-marins nucléaire lanceurs d'engins. Le Redoutable a été lancé à Cherbourg sous la présidence du général de Gaulle le 29 mars 1967. Cette étape importante est venue récompenser les différents partenaires qui avaient oeuvré sans relâche et qui ont poursuivi leur effort avec autant d'ardeur pendant de longues années. Le Redoutable a entrepris sa première patrouille en 1972. Cinq autres sous-marins de ce type ont été réalisés ensuite ; le dernier de la série, l'Inflexible, en version M4, les quatre autres ont subi une refonte M4 quelques années plus tard. Seul le Redoutable a poursuivi son activité en version M20 et a regagné Cherbourg en 1991 ou l'attend un nouveau destin. La France a entrepris plus tardivement en 1974 la réalisation des sous-marins nucléaires d'attaque type Rubis qui mettent en oeuvre une chaufferie nucléaire compacte préfigurant celles que l'on trouve maintenant sur les SNLE type le triomphant et également sur le porte-avions. Le Triomphant, qui marque une évolution considérable par rapport à la série précédente est entré en service début 1997 et le second, le Téméraire, s'apprête à le rejoindre dans un futur très proche. Il faut également Compter la Chine parmi les nations disposant de sous-marins nucléaires et ceci depuis le début de la décennie 70 avec la construction de SNA type Han dont cinq unités sont en service et d'un SNLE le XIA mis en service en 1987. Une autre nation, le Brésil, effectue des efforts très importants pour rejoindre à terme les nations qui disposent des sous-marins nucléaires. Enfin, pour achever cette longue tirade, je citerai les programmes européens en cours, l'Astute en Grande-Bretagne destiné à remplacer les Trafalgar, le Barracuda qui assurera la relève des Rubis et bien sûr la poursuite de la construction du Vigilant et la toute prochaine commande du SNG n°4 doté à l'origine en 2008 du nouveau missile M51. CONCLUSION Ce siècle de l'histoire de la construction sous-marine qui nous réunit, a vu les marines s'équiper de sous-marins à propulsion nucléaire au cours des trente dernières années. - Très vite, l'évolution des technologies a permis de réaliser des navires de plus en plus performants exploitant l'énergie considérable embarquée. Les SNLE ont atteint des tailles très respectables comme l'indique cette planche (figure 2 (NDE)) et ont démontré de formidables aptitudes à remplir leurs missions. Les SNA, quant a eux, ont sans relâche accompagné les forces et leur rôle fondamental n'est plus à démontrer. Quel sera l'avenir des sous-marins nucléaires ? Je ne suis pas devin. Ce type de propulsion permet de pérenniser la maîtrise de la mer et la dissuasion. Bien sûr, des questions ne manqueront pas de se poser dans les années a venir. Leurs réponses ne sont pas de mon ressort mais dépendront des situations politiques et économiques de l'époque. Par ailleurs, je voudrais souligner également l'importance, pour un programme de bâtiments à propulsion nucléaire, des obligations de la sûreté en gradation constante au fil du temps. Je citerai, pour terminer, André Glucksmann qui, lors de la conférence inaugurale de la 21éme session du CHEAR, avait déclaré qu'une nation qui accédait au nucléaire pour sa défense ne pourrait plus y renoncer.

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