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Souscription - Louis DEGUNST, un jeune rebelle Dunkerquois. Marin à bord du Strasbourg et rescapé de la tragédie de Mers-El-Kèbir, il entre en résitance.
Article publié le lundi 6 mars 2006
PRÉFACE
Quel parcours ! Quelle énergie ! Quelle leçon de courage et d'humilité ! L'itinéraire de Louis Degunst nous immerge dans l'une des pages les plus sombres et tragiques de l'histoire de l'humanité, au temps où résistance rimait toujours avec souffrance. Dès lors, comment ne pas saluer l'initiative de cette publication qui produit un exceptionnel document à caractère pédagogique. Si davantage de déportés résistants rentrés avaient, à son exemple, consigné leur témoignage, les risques de marginalisation, de relégation, voire d'effacement dans la mémoire collective, en auraient été amoindris, sans compter tous les enseignements que les historiens auraient pu extraire de ces sources de premier ordre. Ce récit de « déporté de répression » est d'autant plus précieux que depuis le procès d'Adolf Eichmann (1961), l'histoire de la déportation est devenue pour l'essentiel, durant plusieurs décennies, celle de la « déportation de persécution » et de la tragédie européenne du génocide du peuple juif. D'ailleurs, pour preuve, très récemment encore, il fallut bien des débats et une forte pression associative pour étendre l'indemnisation et la reconnaissance de l'Etat, pour souffrances endurées, à tous les orphelins de déportés de guerre, sans distinction de race. Comme nombre de déportés, Louis Degunst a rédigé tardivement ses pesants souvenirs. Il lui fallait laisser du temps au temps, digérer les épreuves, se reconstruire, apprendre à revivre après des mois de survie et fonder une famille. Sa fille Muriel l'a incité à prendre la plume au moment opportun car Louis Degunst arrivait alors à l'âge où pointait la nécessité de transmettre, de rédiger par devoir un travail de mémoire, de délivrer un message pour rappeler aux jeunes générations, elles-mêmes confrontées à leurs difficultés et à leurs incertitudes, que le nazisme, système monstrueux, niait toute forme d'égalité et de liberté entre les hommes. Durant ces années noires, il fallait bien du courage pour s'élever contre une telle tyrannie. Un tempérament rebelle facilitait certes une telle démarche et notre Dunkerquois frondeur n'était pas en reste sur ce plan, mais on ne s'improvisait pas résistant au sein d'un groupe structuré : outre la volonté de combattre, il fallait souvent attendre que se présente l'opportunité du contact. Mais force est de constater aussi que l'environnement de Louis Degunst, durant les premières années de guerre, ne le prédisposait nullement à ce type d'engagement. En sa qualité de marin engagé, il avait de justesse échappé, à Mers El-Kébir, au bombardement de l'escadre française par la Royal Navy, une opération dramatique qui coûta la vie à 1300 marins français et déchaîna une campagne exacerbée d'anglophobie. Ne travaillait-il pas aussi, après sa démobilisation, en tant que radiotélégraphiste, sous le couvert d'une structure officielle, dans une officine d'écoutes qui abreuvait en informations les services du gouvernement de Vichy ? Louis Degunst est approché par la Résistance en août 1943, essentiellement en raison de ses compétences professionnelles, très recherchées par l'armée de l'ombre. Il répond spontanément à cet appel, ses convictions étant solidement établies. Nul doute que son anglophilie ait motivé son engagement. Une partie de sa famille ne résidait-elle pas en Angleterre ? Ne subodorait-il pas que son géniteur était un officier britannique de la Grande Guerre ? Bon sang ne saurait mentir. Mais adhère-t-il à la France libre de De Gaulle qui, à ses yeux, présente moins de risques que l'Intelligence Service dans l'hypothèse d'une arrestation, ou à cet « Esprit de Dunkerque » initié par Winston Churchill en 1940 ? Le lecteur découvrira la suite : sa participation aux réseaux Troène et Andromède, émanations du BCRA (Bureau central de recherche et d'action), le service de renseignement de la France libre. Son activité clandestine est extrêmement périlleuse car près de 80 % des « pianistes » seront arrêtés, en émettant ou en mission. Le 11 juillet 1944, la branche de son réseau est démantelée par la redoutable police nazie qui, avec le concours de gestapistes français, est parvenue à infiltrer l'organisation de résistance en utilisant des agents infiltrés ou retournés : un grand classique du contre-espionnage. Suit l'enchaînement du quotidien des résistants arrêtés : les interrogatoires musclés, l'emprisonnement dans l'attente d'un procès qui n'aura pas lieu, et la déportation précipitée par les événements. Quand Louis Degunst rédige ses « Mémoires de Guerre », il n'a pas connaissance des recherches historiques, bien postérieures, menées sous l'égide de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation qui a conçu et produit le Livre-Mémorial recensant notamment, de façon exhaustive, les itinéraires des transports de déportés au départ de la France vers l'Allemagne. Notre auteur en est donc réduit à certaines hypothèses pour expliquer d'obscures péripéties. Aujourd'hui, toutes les explications peuvent être données, à l'appui de sources irréfutables. Ainsi, à la veille de la libération de Paris, soit dix jours avant la capitulation du Gross Paris, les Allemands vident les prisons françaises. Le 15 août 1944, le convoi - le dernier à quitter la région parisienne - est au départ de la gare de Pantin, faute de pouvoir utiliser les installations de la gare de l'Est, sabotées par la Résistance. Le train est contraint de s'arrêter à Nanteuil-Saacy, car le pont franchissant la Marne a été détruit, le 8 août, par un bombardement allié : les détenus doivent alors regagner à pied un autre transport formé au- delà de cet obstacle. Le 17, la Résistance ne parvient pas à stopper le convoi à Dormans (Marne). Ce jour-là, le consul de Suède, en poste à Paris, conclut un accord avec l'occupant et obtient que tous les prisonniers et déportés soient placés sous sa protection mais ses démarches se heurtent à l'obstination du SS, chef de train. Le lendemain, c'est l'arrivée à Nancy où des membres du gouvernement Laval, en route vers Sigmaringen, interviennent à leur tour, sans succès. Finalement, les déportés arrivent à destination, le 20 à Buchenwald où sont débarqués les hommes et le 21 à Ravensbrück, le sinistre camp de femmes. Devant les déportés, s'ouvrent alors les portes de l'enfer du travail forcé. Avec concision et des mots empreints d'une extrême pudeur, Louis Degunst dresse le tableau d'un quotidien effroyable fait de vexations, d'humiliations, de coups répétés. La mort habite chaque heure de son existence. Le hasard - car le mot chance serait déplacé dans ce propos - le hasard donc a voulu qu'il ne soit pas désigné, le 3 septembre 1944, pour le Kommando de Dora où la mortalité du groupe issu de son convoi approcha les 80 %. Il rejoint donc celui de Wansleben pour travailler dans une usine de pièces pour avions, implantée dans les galeries d'une mine de sel.....où la mortalité n'atteignit que 54 % ! Celui dont la mort n'a pas voulu a fait le choix délibéré de restituer son parcours de guerre et de déportation dans la continuité de ses heureuses années de jeunesse, avant d'évoquer les conditions de son retour à la normalité. Voulait-il ainsi, par cette construction littéraire et stylistique, exorciser ces huit mois « envolés », ou considérait-il que ce temps des épreuves ne constituait qu'une séquence de tourmente à inscrire, pour la mémoire et de façon indélébile, dans le cheminement d'une vie ? Louis Degunst (1919-2000), à l'instar de tous ses compagnons d'infortune ayant échappé à la folie meurtrière du nazisme, n'a jamais fait le deuil de ce martyre. Sans aucune haine, il a simplement écrit pour demain, pour éviter le retour du pire. - Patrick ODDONE Président de l'Association régionale Nord-Pas-Calais pour la Mémoire des conflits contemporainsLes commentaires
Ecrit par BARBE Christian LE 30 AVRIL 2016 |