Reprise de la construction des Sous-Marins après 1945
Extrait de l'ouvrage qui regroupe l'intégralité des conférences présentées lors du colloque "1899 / 1999, un siècle de construction sous-marine" qui s'est tenu les 25 et 26 octobre 1999 à Cherbourg
Reprise de la construction des Sous-Marins après 1945
Avant d'évoquer la construction de notre force océanique stratégique, il est logique de rappeler comment, à partir de la fin des années 40, se sont reconstituées notre capacité, notre compétence dans les bureaux d'études et les chantiers, spécialistes des sous-marins. Sur la planche présentée ci-après, sont rassemblés les programmes de livraison des sous-marins militaires entre 1945 et 1995. Je m'en tiendrai à la partie supérieure gauche de ce document, en gros jusqu'à 1960. Mes propos ne seront pas ceux d'un historien: je n'en ai ni la vocation, ni les moyens. J'ai conservé très peu d'archives et en ai consulté très peu avant cet exposé. Il s'agira essentiellement d'un témoignage sur des événements dont j'ai été ou un observateur, ou un acteur. Comme tout témoignage, il sera forcément partial et marqué de mon propre jugement; certains y trouveront des déformations, des jugements trop abrupts, discutables. Dès la libération, en 1944, la reconstruction a été l'objectif essentiel de toute la France, de son industrie, en particulier. Partant de ce qui avait pu être sauvé, après les destructions et les dispersions, il a fallu rassembler, mettre en place de nouveaux moyens, de nouvelles équipes, dans un contexte de pénurie assez généralisée. Dans le cas particulier de la construction des sous-marins, quelle était, en France, la situation en 1950 quand j'ai rejoint la Direction des Constructions et Armes Navales (DCAN) Cherbourg ? L'infrastructure à Cherbourg avait énormément souffert des destructions de 1940 et de 1944. L'essentiel avait été réparé en dégageant les bassins, en remettant en service les formes de radoub. Les cales 3 et 4 étaient utilisables, ayant été prolongées vers la mer et munies de portes basculantes. Les ateliers, celui des bâtiments en fer, la salle à tracer, l'atelier machines... avaient une capacité de production valable. Des chantiers privés : - Augustin Normand, 1839-1905 Ingénieur et constructeur naval. Il est le premier en France qui adopta l'hélice pour la propulsion des navires. - Dubigeon,
Dubigeon Chantiers - Historique ici
- Le Trait avaient conservé des capacités de montage. Le service technique des constructions et armes navales avait pu et su maintenir une compétence certaine pour établir les projets de sous-marins et en spécifier les installations ou les équipements. Une section sous-marin, très indépendante, réunissait des anciens adjoints de Roquebert, mais était hélas privée d'un de ses plus brillants éléments, Isabelle, disparu en 1946 avec le 2326
Ici un article sur la perte du 2326
; elle avait de solides IDT3 dont Legris ; étaient nées au STCAN des compétences nouvelles et indispensables pour la détection sous-marine, pour la détection électromagnétique, pour la direction de lancement, pour l'optique notamment. La situation était loin d'être aussi satisfaisante à Cherbourg. On avait retrouvé certes quelques ingénieurs expérimentés, mais en très petit nombre, des cadres et des ouvriers de chantier qui étaient intervenus avant la guerre. Mais la politique de la direction centrale, pour les affectations des GM, visait plus à boucher les trous, surtout ceux d' outre- mer, qu'à constituer un vivier de compétences pour le futur: il suffit de rappeler la mutation de Gempp à Saigon en 1951, je crois, pour illustrer mes propos. En 1945, quelques sous-marins du type Aurore, sous-marins de deuxième classe dont le prototype avait été confié à Toulon, étaient en construction dans plusieurs chantiers privés, Cherbourg ayant été retenu pour les 1 500 tonnes et leurs successeurs. La décision a été prise d'en achever cinq, qui devaient compléter notre flotte sous-marine disparate comprenant des ex-allemands (Type XXI) , des 1 500 tonnes, quelques navires plus petits et, peu de temps après, quatre bâtiments prêtés par les Anglais. Les trois premiers, la Créole au Havre, l'Africaine au Trait, l'Astrée à Nantes ont été assez peu modifiés pour leur livraison. L'armement et les essais ont eu lieu à Cherbourg. Les échos que j'en ai eus indiquent que, dans l'ensemble, ces opérations s'étaient déroulées dans de bonnes conditions, à l'exception toutefois des diesels de l'Africaine, Schneider et non pas Sulzer, qui avaient donné pas mal de soucis à l'ingénieur mécanicien et à l'ingénieur chargé. Mais, si vous voulez en savoir plus, vous pouvez toujours interroger Pierre Blanc, l'ancien Président du Véritas et l'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie de Marine, et son successeur dans cette fonction, l'amiral Cochet. Restaient donc l'Andromède et l'Artémis. Le premier était à Nantes. Le second était une coque, remorquée du Havre à Cherbourg après réparations sommaires d'avaries dues à des bombardements. Le département a décidé de les modifier profondément pour les munir d'un schnorchel, de systèmes de détection et de direction de lancement de torpilles devant préfigurer celles des futurs Narval dont la construction venait d'être décidée. Cela les a retardés suffisamment pour que je puisse en devenir l'ingénieur chargé, peu après mon arrivée à Cherbourg en 1950, sous l'autorité de Pierre Blanc, devenu chef de la section constructions neuves. Assez rapidement, il est apparu que la construction des Narval mobilisait trop de moyens à Cherbourg, et qu'il serait plus raisonnable de remorquer à Nantes la coque de l'Artémis pour achèvement, après celui de l'Andromède et après avoir récupéré, dans les différents chantiers, y compris ceux de Chalon-sur-Saône, les équipements et tôles disponibles. L'achèvement des deux sous-marins profondément modifiés posait de nombreux problèmes insolubles à Nantes: les faiblesses du bureau d'études du chantier et de la surveillance engendraient des retards. Aussi, il m'a été donné d'ouvrir une liaison au moins bimensuelle entre Cherbourg et Nantes et d'apporter, avec le soutien du bureau d'études de Cherbourg, des solutions aux problèmes nantais. Cette liaison était solide, puisqu'elle est ensuite restée nécessaire pendant les études et la construction des Daphné à Nantes; j'y reviendrai. Les essais de ces deux sous-marins se sont dans l'ensemble assez bien déroulés. Nous avons dû, pour l'Andromède, en faire une partie à Toulon, ce qui m'a valu, à la suite de la mutation de Gempp, d'être membre de la commission locale d'essais et de commencer à fréquenter la CEPSM. Le schnorchel, après élimination de vibrations parasites, a bien fonctionné; la balance a penché du côté du clapet de tête électropneumatique, l'Artémis, contre le clapet à flotteur, l'Andromède. Les équipements électroniques nouveaux ont été mis en place, souvent avec difficultés: nous avons ainsi dû, batterie d'accumulateurs en place, modifier un carlingage de la baie sonar. Par contre, je salue encore la performance de Ragonnet, de l'équipe de la Thomson qui, en quelques jours, a installé un équipement de détection électromagnétique, alimenté correctement en courant triphasé, qui a bien fonctionné dès ses premiers essais, le sous-marin reposant sur le fond dans l'anse du Béquet! . Enfin, vaille que vaille, les deux bâtiments étaient à Toulon en 1954 et la CEPSM et les autres centres d'études toulonnais pouvaient évaluer et mettre au point les futurs équipements du Narval. Narval, dont la construction progressait à Cherbourg. Le projet de ce type de sous-marins, repéré e 48a, avait été établi au STCAN sous la direction de l'IGM de Dinechin. Son programme, ses performances, sa conception même étaient directement inspirés des sous-marins allemands type XXI, dont nous avions un exemplaire en service en France, le Roland Morillot. Il présentait donc de nombreuses différences avec les derniers sous-marins mis en chantier à Cherbourg: formes fuselées et double coque avec coque extérieure enveloppante; coque résistante entièrement soudée avec couples extérieurs, calculée pour une immersion de 200 mètres; schnorchel ; propulsion assurée par deux lignes d'arbres, suivant le schéma traditionnel propre aux précédents sous-marins français, avec des moteurs diesels attelables sur les deux lignes d'arbres pour la propulsion rapide en plongée et pouvant entraîner les seuls moteurs électriques principaux fonctionnant en génératrices pour la charge rapide des batteries, la propulsion étant alors assurée par deux moteurs de croisière; tous les matériels de sécurité plongée étaient spécifiés pour l'immersion de 200 mètres. | n° | Nom | Mise en chantier | Service actif | Désarmé| | S631 | Narval IV | 1er février 1954 | 1er décembre 1957 | 15 juin 1983 | | S632 | Marsouin II | 1er mai 1955 | 1er octobre 1957 | 4 octobre 1982 | | S633 | Dauphin III | 1er septembre 1955 | 1er août 1958 | 1er novembre 1992 | | S634 | Requin II | 1er décembre 1955 | 1er août 1958 | 1er décembre 1985 | | S637 | Espadon III | 1er septembre 1958 | 1er mars 1960 | 1er septembre 1985 | | S638 | Morse IV | 10 décembre 1958 | 1er mai 1960 | 15 octobre 1986 | L'emploi des moteurs à huile avait été généralisé, en remplacement de nombreux moteurs électriques, avec des gains de place et de sécurité très importants, par exemple pour les appareils à gouverner dont l'entraînement mécanique reposait sur les principes antérieurs; les équipements de navigation, de transmissions, de détection, de direction de lancement de torpilles étaient nouveaux; les torpilles embarquées avaient été développées récemment. Une telle accumulation de modifications entre deux générations successives de sous-marins, d'avant et d'après-guerre, était peut-être assez facile à gérer pour l'équipe de projet; elle posait par contre de sérieux problèmes au bureau d'études, et au chantier de Cherbourg. Je voudrais souligner un de ces problèmes: si des précautions particulières ne sont pas prises au moment de la rédaction du contrat, le fournisseur d'un équipement embarqué n'est pas tenu de fournir certains renseignements essentiels avant son achèvement; les plans de carlingage, les plans des liaisons électriques, de fluides, le devis de masse ne peuvent être terminés que très tard, trop tard pour un bon enchaînement des travaux. Or, les fournitures dites "du département" se sont souvent trouvées dans cette situation très regrettable! Par ailleurs, l'approvisionnement des auxiliaires auprès d'une industrie ayant perdu beaucoup de sa compétence, la qualification de ces matériels, le dessin de nouveaux accessoires de coque adaptés à la nouvelle pression d'immersion, le réexamen et la mise à jour des normes spécifiques des sousmarins représentaient un travail considérable. Il n'est donc pas étonnant que les délais d'étude et de construction du Narval aient été longs, trop longs même aux yeux de l'état-major désigné qui avait imaginé un jeu de l'oie assez critique pour les CN. Il faut reconnaître aussi que les mutations ou départs de GM ont provoqué une succession d'ingénieurs chargés: Bouiges au début, puis Bougé avec une assistance brève de Devauchelle, enfin Talboutier. Il y a eu aussi, cela était inévitable, des difficultés techniques. En particulier, pour la construction de la coque. Compte tenu de son architecture, coque circulaire à couples extérieurs entièrement assemblés par soudure, un mode de préfabrication s'imposait: on a construit des tronçons de longueur en général supérieure au diamètre; les couples étaient positionnés dans une structure appelée berceau, pouvant tourner horizontalement; les tôles de bordé étaient positionnées et soudées à franc bord et, enfin, les couples soudés au bordé. Toutes ces opérations de préfabrication étaient faites sur le terre-plein devant les cales 3 et 4, desservi par une grue. Le climat de Cherbourg étant ce qu'il était, déjà, ces opérations devaient se faire dans des abris en tôle ondulée. Les difficultés techniques, dont j'ai eu connaissance, ont concerné la soudure du bordé et la structure des tôles. Au commencement, à la construction d'un tronçon d'essai, Bouiges avait espéré utiliser la soudure automatique pour les joints de bordé. Malheureusement, des défauts, collages difficilement détectables aux rayons X, sont apparus. Il a donc été nécessaire de revenir à la soudure rp.anuelle,. pratique qui subsistera encore longtemps. Un peu plus tard, on a constaté que certaines des tôles de bordé présentaient des défauts, des feuilletages que les moyens de contrôle en usine ne mettaient pas en évidence. Des tôles ont dû être rebutées et les spécifications de recette en usine ont été durcies, en prévoyant un oxycoupage des bords pour détecter le risque de présence de tels défauts. C'est Devauchelle qui avait pris en charge cette question. Il fallait aussi valider les choix faits pour certains auxiliaires, pour certains composants électriques, hydrauliques, pneumatiques, mécaniques, pour les structures de coque. Pour ce faire, des installations d'essais et de qualification avaient été mises en place dans divers ateliers de la DCAN Cherbourg. On trouvait dans l'intercale 3-4 un caisson pour l'essai destructif de modèles de coque, à la chaudronnerie, un banc d'essai des produits absorbant le CO2 et des postes pour tester la robinetterie. Al' atelier torpilles du Roule, on s'occupait d'air comprimé, etc, etc. C'est Girousse, je crois, qui a eu l'idée de regrouper en un local unique tous ces bancs dispersés dont la mise en oeuvre et la surveillance ne motivaient pas tellement des ateliers de production, et de confier à un IGM la direction de centre, baptisé "stand d'essais". L'intercale 1-2 recouverte a été retenue. J'ai été prié d'en être l'ingénieur chargé, tâche que j'ai transmise le plus rapidement possible à un adjoint tout neuf, Tissandier puis Péraud, car j'avais un œil sur le programme des Aréthuse, alors imminent. Ce "stand" a rendu de très grands services, à l'exception d'une machine de choc, inspirée d'une réalisation brestoise et qui s'est révélée être autodestructrice, en générant des chocs non reproductibles. Il s'agissait de l'ancêtre du CETEC. La construction du Narval, par assemblage de tronçons aménagés en suivant un procédé inspiré des type XXI, s'est ainsi poursuivie jusqu'en 1956. Il a fait sa première plongée en route libre en avril, en mettant en évidence de manière fortuite, la gîte importante que prend un sous-marin ayant un massif développé, lors d'une remontée verticale rapide. Les essais du Narval, puis ceux des cinq bâtiments du même type, trois construits à Cherbourg, un au Havre, un au Trait se sont déroulés dans des conditions normales avec, pour le prototype, l'installation du système d'armes pendant les démontages après essais. Les problèmes essentiels rencontrés ont concerné les diesels Schneider, moteurs à deux temps qui supportaient mal les températures élevées de l'échappement, du fait de la marche au schnorchel. L'installation de propulsion sera d'ailleurs entièrement refondue dans les années 1960, en profitant de cette occasion pour mettre en place une brèche, dont l'absence avait hypothéqué l'ordonnancement des travaux à la construction. En définitive, la carrière de ces sous-mains dont l'accouchement avait été laborieux, s'est révélée très honorable. Entre temps, en 1952, l'EMM et le STCAN avaient établi le programme militaire et le projet d'un nouveau type de sous-marin. Ce bâtiment, dit de chasse, devait être de petite taille, en particulier pour en diminuer l'écho acoustique, et était destiné à opérer en Méditerranée. Je ne sais si ce concept de sous-marin de chasse était nouveau, mais aujourd'hui, je m'interroge toujours, non sur la faisabilité du concept, mais sur la possibilité d'accomplir la mission lorsque le but est en plongée, faute d'exemples connus. Le projet suivait son cours sous la direction de Girousse qui avait comme interlocuteur à l'EMM, le commandant Guépin, le célèbre "général". Entre les deux existaient certainement des points d'accord, puisque le projet a abouti. Mais leur désaccord sur la réalisation pratique des équipements était perceptible pour l'ingénieur chargé que j'étais devenu. "Je vous supplie, Touffait, copiez les Allemands" me déclarait le "général" ; Girousse, lui, insistait sur l'accessibilité, sur l'aptitude à la maintenance, sur la simplification des schémas, sur la facilité de conduite... Quelques faits anecdotiques ont marqué le démarrage du programme. Le STCAN avait imaginé que le sous-marin serait trop stable et qu'il n'y aurait pas assez de place dans la quille pour mettre le lest nécessaire. Le plan des formes étant fait, on a placé le fond de la quille en dessous de la ligne d'eau O. Le directeur de Cherbourg souhaitait que Gempp rentrant de Saigon soit l'ingénieur chargé; entre parenthèses, ce n'était pas le souhait de l'intéressé; pour faire pression sur l'administration centrale, le directeur de Cherbourg nous a alors interdit de commencer le moindre travail que ce soit ; nous ne voulions pas prendre un retard inutile; aussi, le premier tracé à la salle, la construction de la première maquette du CO ont été faits au compte des Narval. Je crois que l'on a remboursé et le directeur a failli s'étrangler quand, à l'occasion d'une de ses rares visites, il a trouvé le plancher de la salle à tracer dans un état de propreté inhabituel. Enfin, lorsque le ministre a décidé de donner des noms aux deux premiers sous-marins désignés alors par leurs numéros de coque Q 235 et Q 236, sans doute mal conseillé, il les a appelés Argonaute et Aréthuse. Quelqu'un a alors fait remarquer qu'il y avait déjà un type Argonaute. En vertu du dogme de l'infaillibilité, une décision complémentaire a été prise: les sous-marins seront du type Aréthuse. Aujourd'hui encore, il existe une confusion entre les deux noms et l'histoire des bâtiments qui les portent. Par exemple, à la page 225 du livre de Henri Le Masson, on peut lire "avant que l'Aréthuse n'entre en service en octobre 1958" ; et bien non, ce n'était pas l'Aréthuse, mais l'Argonaute. La mise en chantier des deux premiers date de 1953, celle des deux suivants de 1954. Le bordé de coque résistante était apparent sur llne partie de la longueur, les ballasts étant "en oreilles". Les couples étaient intérieurs et leur diamètre variable, de même d'ailleurs que l'épaisseur des virures. Un peu échaudé par l'exemple de la construction par tronçons pré-aménagés, m'appuyant sur les recommandations de Girousse qui déclarait que la meilleure façon de vérifier la possibilité de démontage d'un matériel, en service, était de l'embarquer en suivant le trajet inverse, j'ai choisi de faire préfabriquer des tronçons de coque épaisse, neuf je crois, et de les préassembler pour former trois tranches, avec l'idée de réunir les tranches arrière et milieu pour commencer très tôt le passage des câbles pyroténax et le montage des tuyautages. Je souhaitais, pour la préfabrication des tronçons, utiliser la cale l, après couverture et installation de ponts roulants. Il s'agissait d'une opération d'investissement immobilier qui avait l'accord de ma direction locale. Paris était réticent. Nous avons "emporté le morceau" au cours d'une visite des grands chefs parisiens, en ouvrant de manière inopinée un des abris pour Narval et en y constatant un niveau d'activité très, très réduit. Les coques des quatre sous-marins, les capacités résistantes, les panneaux de carène extérieurs, les massifs ont été préfabriqués dans cet atelier, sous la direction et la surveillance efficace de mon chef de chantier, l'IDT Delœuvre. Les couples étant intérieurs, les berceaux devaient être à l'intérieur des structures en montage. Le seul problème rendu un peu plus délicat était le démoulage après soudure du bordé; il a été résolu. Pour le soudage des couples, j'ai retenu la solution dans laquelle l'axe du tronçon était vertical et où un ascenseur intérieur positionnait les soudeurs. Avec l'expérience acquise grâce aux Narval, pour la recette des tôles et l'exécution des soudures, ces opérations se sont bien déroulées, mais il faut dire aussi, pour être objectif, que l'on n'avait pas encore mis au point l'examen par magnétoscopie des soudures d'angle! Les spécifications arrivaient à Cherbourg à un rythme normal; une très grosse surprise avait été de recevoir très tôt la définition de la liaison des équipements avec le réseau des tout nouveaux transmetteurs "synchro". La volonté de simplification des circuits, d'accroissement de la sécurité transparaissait. On s'éloignait de conceptions précédentes qui permettaient, par exemple à bord de l'Andromède, de pouvoir remplir les caisses d'assiette avec une pompe de circulation des diesel! Plus d'épuisement, plus de "boîtes égyptiennes". Une révolution en somme. Pour les études, je pouvais m'appuyer sur des équipes réduites dirigées par quelques cadres expérimentés, auxquels de jeunes IDT ou CT avaient été adjoints. J'exerçais une surveillance étroite de la tenue à jour des schémas, des listes de matériels et des dossiers de commande. Les études d'emménagement reposaient, soit sur la tenue de plans par compartiments, soit sur la construction de maquettes à échelle grandeur, pour les locaux opérationnels, avec des discussions avec le STCAN et l'EMM, et pour les locaux très encombrés, comme celui des auxiliaires, pour lesquels l'étude sur plans s'avérait très difficile; les cadres du chantier utilisaient ces maquettes pour la conduite de leurs travaux. Girousse a pantouflé assez rapidement et a été remplacé par Gempp. La section sous-marin du STCAN s'est trouvée rapidement impliquée dans le projet Daphné et dans l'aventure du Q 244, si bien que j'ai pu bénéficier d'une très grande liberté d'action; je rendais compte au STCAN de mes décisions, avec l'emploi efficace de la formule "sauf contre ordre de votre part". La section sous-marins m'a aussi confié tôt le soin de suivre techniquement, chez les fournisseurs, l'achèvement des matériels dont elle s'était réservé la commande: groupes électrogènes, moteurs électriques, appareils à gouverner... La remise en cause de la conception de beaucoup d'installations, le souci de rechercher les applications possibles de matériaux nouveaux, que l'on pouvait tester au stand d'essais, ont fait que, sur l'Argonaute et les sous-marins type Aréthuse ont été faites de nombreuses innovations. Sans prétendre être exhaustif, je voudrais en signaler un certain nombre, en rappelant aussi, au passage, que la recherche de l'accroissement de la discrétion acoustique était devenu un objectif essentiel des études et de la construction. Ci-après, les principales innovations dont ont bénéficié les SOUS-MARINS de Type ARETHUSE - Prototype Argonaute Propulsion - Energie - Une ligne d'arbres - Diesel électrique - Une batterie en 2 demi batteries - Moteurs auxiliaires à 2 vitesses Discrétion acoustique - Groupes électrogènes sur berceau - Suspensions élastiques pour les auxiliaires tournants - Emploi systématique des flexibles pour les liaisons des auxiliaires Ergonomie - Etude sur maquette des locaux opérationnels, du compartiment des auxiliaires, du poste avant. - Tableau de plongée Prise en compte de l'entretien - Brèches de coque - Etude du cheminement des appareils; généralisation de l'échange standard - Documentations de maintenance - Définition du stock de rechanges dès la construction Sécurité plongée - Barres à commandes hydraulique par presses. Pilote automatique à calculateur analogique. - Station d 'huile à fluides séparés et retour pressurisé ; Fluide hydraulique missible dans l'eau de mer. - Nouveaux distrihuteurs d'air HP et huile HP à étanchéité et facilité de manœuvre améliorée. - Simplilication des circuits ; suppression de l'épuisement, des boites égyptiennes; dispatching par flexibles. - Réfrigération des MEP aves eau douce intermédiaire. - Mats hissables oléopneumatiques; - Schnorchel hissable étanche en pIongée - Compresseur d'air de nouveau type - Utilisation de nouveaux matériaux; araldite, teflon, rilsan pour des applications variées Soyons clairs. La plupart d'entre elles sont le fruit de l'imagination des ingénieurs de la section SM du STCAN. Mais, à Cherbourg, nous avons eu à les mettre au point, les embarquer, les essayer à bord en y apportant les modifications nécessaires. Toutes ces innovations ont-elles été des succès? Sans hésiter, je dirais "ni oui, ni non" - nous sommes en Normandie, car certaines, trop sans doute, ont nécessité des mises au point sans toutefois trop retarder le programme. Les principales difficultés dont j'ai gardé le souvenir concernent: - l'absence de réfrigération de la butée fournie par Indret, - la fragilité et la mauvaise conception de la suralimentation des diesel, par hélico compresseurs, auxiliaires dont j'ai pu, ultérieurement, provoquer la suppressIOn, - l'emploi de flexibles extérieurs pour l'alimentation des gouvernails de direction et de plongée arrière à l'origine d'avaries de barre et qu'il a fallu remplacer par des cors de chasse en cuivre, faute de pouvoir remettre les presses à l'intérieur, - la mise au point laborieuse de la commande de la soupape de décharge de la station d' huile et des joints d'étanchéité des presses, - le fonctionnement intempestif du disjoncteur des auxiliaires dans les têtes de batterie lorsque l'on passait en A V 5 ou 6, - les avaries nombreuses des compresseurs d'air Girodin ; mais elles ont démontré, pendant les essais, le rôle important que pouvait jouer la brèche dite des auxiliaires et l'efficacité des dispositions prises, grâce à leur mise au point sur maquettes, pour le débarquement rapide d'un appareil et son échange standard. Ci-aprés, le calendrier de la construction et de la livraison des quatres sous-marins et également le rappel de principales caractéristiques du type | n° | Nom | Mise en chantier | Début des travaux | Lancement | Présentation aux essais | Service actif | | S636 | Argonaute III | 1953 | mars 1955 | 29 juin 1957 | 8 février 1958 | octobre 1958 | | S635 | Aréthuse III | 1953 | mars 1955 | 9 novembre 1957 | 25 mai 1958 | février 1959 | | S639 | Amazone III | 1954 | octobre 1955 | 3 avril 1958 | 22 octobre 1958 | juillet 1959 | | S640 | Ariane III | 1954 | octobre 1955 | 12 septembre 1958 | 21 février 1959 | mars 1960 | Déplacements : - surface 540 t. - Plongée: 670 t. - Dimensions : 49,6 x 5,80 m - Tirant d 'eau milieu : 4,02 m - Immersion: 200 m - 2 groupes électrogènes Pielstick 2x337 Kws - 2x300 Kws - 1 MEP 1300 CV Vitesse 16 nœnds - 1 MEC - 4 TL T courts, 8 torpilles On peut constater que, avec une DM de mise en chantier en 1953, un plan d'échantillonnage de fin 1953, des spécifications notifiées en 1954, et une admission au service actif en 1958, finalement ce n'était pas si mal! Les Aréthuse étant jugés un peu petits avec un armement limité (4 TLT, 8 torpilles courtes en tout), l'EMM et le STCAN se sont lancés dans la définition d'un nouveau type de sous-marin, dans la lignée des sous-marins de deuxième classe. Le projet définitif était signé de Gempp : c'étaient le 13 puis J4, car on avait fort judicieusement renoncé aux millésimes. Par rapport aux Aréthuse, dont toutefois beaucoup d'installations dérivaient directement, les différences majeures, à l'origine de l'accroissement de tonnage étaient les suivantes: - 12 torpilles longues dont 8 situées dans des tubes d'étrave remplis d'eau douce, avec portes latérales et chasse par refouloir pneumatique, - deux lignes d'arbresansmoteurdecroisière,peut-êtreuneconcessionaux plusanciens amiraux du Conseil Supérieur de la Marine, - une immersion maximale portée à 300 m. Cette augmentation d'immersion a posé peu de problèmes techniques; certes les tôles debordéétaientplusépaisses; mais, pour le reste, l'extrapolation des solutions retenues pour le Narval et l'Argonaute s'est faite facilement. La disposition ergonomique des deux tableaux de commande des moteurs de propulsion, placés longitudinalement et manoeuvrés par un seul opérateur n'était pas judicieuse et a dû être revue lors d'une refonte. Plus tard, au moment des essais, deux difficultés importantes ont été assez difficiles à surmonter: - des accessoires de la séquence pneumatique de lancement des torpilles étaient sensibles à l'immersion; il a fallu apporter des modifications, progressivement, ce quia,en définitive, retardé l'admission au service actif despremiersde la série, -pour limiter la taille des génératrices et des moteurs de propulsion,le fournisseur,Jeumont Schneider,avait proposé d'adopter pour leur isolation la classe H, basée surl'emploi de silicones; malheureusement,encircuit fermé et confiné, il en résultait une usure très rapide des balais et une baisse excessivede l'isolation des machines. Làaussi, des parades ont pu être définies, mais ces difficultés ont beaucoup pesé pendant les essais sous la direction de la CPE. Lorsque, en 1955, la décision de mettre en chantier le prototype a été prise, Cherbourg achevait le Narval (essais en 1956), développait l'Argonaute (mise sur cale des premiers tronçons). Le département a donc décidé de confier aux chantiers Dubigeon, je crois qu'il faut dire anciens chantiers Dubigeon, les études de construction de la série et l'assemblage du prototype, toutense réservant la rédaction des spécifications d'installations et l'approvisionnement de tous les principaux équipements: groupes électrogènes, moteurs de propulsion, équipements de détection et de transmissions, DLT, TLT... En fait, les chantiers avaient fait leurs preuves pour les travaux d'achèvement de l'Astrée, de l'Andromède et de l'Artémis; les ouvriers travaillaient bien; l'encadrement était sérieux. Par contre, la capacité du bureau d'études ne reposait que sur un ingénieur "maison" et quelques projeteurs de bonne qualité. Alors, il a fallu reprendre l'opération Andromède, l'ingénieur chargé que j'étais, heureusement bientôt aidé et remplacé par Marçais, a repris les trajets Cherbourg-Nantes, en vérifiant les plans sur place, et en rapportant des liasses contrôlées par notre bureau d'études; il lui a fallu, avec le STCAN, faire la liaison avec les fournisseurs du matériel "marine". Heureusement aussi, la Doris, dont la construction avait été confiée à Cherbourg, suivait de peu la Daphné et permettait la validation des plans d'exécution. Certains me trouveront peut-être sévère dans cette évocation du rôle de ces chantiers, dont les héritiers mettent en avant la compétence en matière d'études de sous-marins. Je regrette, mais les faits sont les faits, et il reste des acteurs ou des témoins. Dernier détail d'ailleurs à ce propos: la direction du chantier ne voyait aucune objection, en 1962 je crois, à ce que la CPE recette sa fourniture, sans que les équipements de propulsion l'aient été auparavant! De l'aventure Q 244 et de ses répercussions à Cherbourg, je dirai peu de choses, car ce programme suivi par Devauchelle, qui y a laissé une partie de sa santé, était entouré d'un secret que je ne cherchais pas à percer, ayant d'autres préoccupations, pour moi prioritaires. Mes seules retombées ont été: - mon intervention en 1956 pour l'achat, tardif, d'une machine de cintrage des tôles, car j'étais chargé des bâtiments en fer, - une concurrence assez exacerbée pour l'affectation des dessinateurs et du personnel de chantier, entre le Q 244, les Daphné et les Aréthuse, heureusement et sagement arbitrée par Perrin, notre chef de section constructions neuves. Nous voici en 1959, fin de mon affectation cherbourgeoise. Pendant cette décennie, quels progrès avions-nous faits, quelle était la situation pour la construction des sous-marins? Parmi les progrès, je citerai d'abord l'expérience tirée de nos succès et de nos échecs, car cette expérience se forge autant, et même plus, dans la recherche de la correction d'une erreur que dans la constatation de la validité d'un choix judicieux. Il y avait en place au STCAN sous la direction d'André Gempp, à Cherbourg, à Lorient et à Toulon des équipes d'IGM, d'IDT, de CT, de TSO qui avaient recouvré une compétence certaine en matière d'étude de projets, de définition, de montage et d'entretien d'installations de sous-marins, en particulier de celles de version "française" équipant nos sous-marins les plus récents. La gestion de ce vivier était rentrée dans les préoccupations de la DCCAN, qui avait délégué largement au chef de la section sous-marins du STCAN le soin de proposer les mouvements judicieux. Les infrastructures industrielles de Cherbourg, qui avaient bénéficié du Q 244 surtout, étaient opérationnelles: cale 4, cale 3 surélevée et dotée d'un pont roulant de 200 t, nef annexe des BF, nouveau bureau d'études et hall des maquettes, stand d'essais; elles avaient atteint un niveau dissuasif de l'idée, un moment caressée, de confier à d'autres la charge de la construction du Redoutable! Les relations entre les officiers de Marine et les ingénieurs "sous-mariniers" étaient restées étroites et s'avéreraient durables. Une certaine philosophie française de la sécurité du sous-marin en plongée commençait à poindre, celle que j'appellerai l'école "Girousse". L'accent avait été mis sur la nécessaire prise en compte précoce des soucis ergonomiques et logistiques. Nous avions certainement gravi une marche; nous allions pouvoir aborder la suivante, nettement plus haute, celle du Redoutable! En laissant à des successeurs les bases pour franchir les suivantes, rappelées sur la planche présentée.
Les commentaires
Ecrit par Erick LAMBERT Bonjour . |
Ecrit par SNOOPY Merci pour ce tres bel article et pour l'eclairage particulier des difficultés de conception rencontrés. A nous qui en fumes les utilisateurs de constater l'effectivité des ameliorations techniques de ces series qui ont apportées la competence et le savoir faire preparatoire a la construction des nucléaires et pour l'excellence reconnue dont ils sont aujourd'hui la preuve ! |