Psyché - 1939 dans l'Atlantique, une belle peur, un récit de Julien DESCHAMPS embarqué sur la Psyché
UNE BELLE PEUR Récit de Julien Deschamps. Le sous-marin " La PSYCHE ", lancé en 1932, faisait partie de la série dite "sous-marins côtiers de 630 tonnes." Il y avait 3 modèles différents. Il faisait partie de la 2° Escadrille basée à Oran, 18° division et portait le numéro 181. Il mesurait 64,40 m de long, 5,18 m de large et avait un tirant d'eau de 3,90 m. Son armement était composé d'un canon de 75 m/m, 8 tubes lance-torpilles; 6 de 550 m/m et 2 de 400 m/m de diamètre, une torpille en réserve. L'équipage comprenait 3 officiers et 37 officiers mariniers, quartiers-maîtres et matelots. C'est après avoir quitté Cherbourg que le Psyché fut affecté à Oran en 1939, où une nouvelle base sous-marine s'installait. A bord j'étais mécanicien "extérieur" la deuxième catégorie de mécanicien étant les "diesels". A l'extérieur j'étais chargé des "auxiliaires" c'est-à- dire des mouvements des caisses d'assiette et des régleurs,(en plongée), des niveaux d'eau dans les cales, du W.C, du frigo, du compresseur, des boites d'auxilite,(poudre utilisée pour purifier l'air) du graissage des purges et panneaux, et à terre de la fonction de magasinier. En cette qualité je reçus 40 appareils "Davis" (appareil respiratoire en cas de sortie sous-marine). Il n'y avait pas suffisamment de place à bord et seuls 12 y furent casés, les autres stockés au magasin. Les mats radio, très hauts sur les ponts avant et arrière furent démontés, ce qui devait donner un gain de temps considérable pour la prise de plongée. Un appareil d'écoute sous-marine fut installé, et les torpilles d'exercice remplacées par des torpilles de combat, l'armement fut complété et les vivres embarqués. C'est le 29 Août 1939 que la première patrouille démarre. Cap sur Gibraltar pour former un barrage avec 4 autres sous-marins. Au départ alors que nous sortons du bassin d'évolution, une torpille est lancée par erreur, de la tourelle arrière, et par bonheur va se perdre dans l'atlantique. En effet, ce lancement intempestif aurait pu avoir des conséquences tragiques puisque peu de temps auparavant le ravitailleur "Jules Verne" se trouvait dans l'alignement des tubes, il faut avouer que cet incident a créé parmi nous une grande frayeur, surtout quand on pense à ce que cela à pu produire sur le Kourks ou sur tou autre navire. Le retour à Casablanca se fait le 10 septembre. Nous sommes amarrés au bout de la jetée Lyautey près du club de voile. Dès l'arrivée les pinceaux sont sortis et tout le monde peint. Il n'y a plus de trace de numéro, de cuivre, tout est noir. Après un petit tour aux douches, ravitaillement en vivres et carburant pour 15 jours, c'est le maximum que nous pouvons faire, et appareillage dans la nuit le long des côtes marocaines, du nord au sud. Le 16 septembre au soir le Commandant nous réunit au poste arrière et nous fait un petit discours. "Nous sommes le premier sous-marin français à accomplir une mission de guerre, j'espère que je pourrai compter sur vous comme vous pourrez compter sur moi-même". Au poste d'appareillage, seul le commandant connaissait la destination. Il allait chercher les ordres directement à l'Amirauté, et c'était bien entendu face au Maroc, les Açores, les îles du Cap Vert, ou les Canaries. Nous patrouillons ou stationnons devant chaque baie ou port à heures fixes. Lorsque nous faisions les vivres il n'était pas possible d'embarquer de vivres fraîches pour plus de 2 jours. Le frigo était trop petit, le pain ne conservait pas plus de 2 jours, après il devenait vert et la moisissure poilue apparaissait. Nous ne mangions donc que des conserves après 2 jours. Tous les soirs nous avions un cachet de quinine pour combattre le paludisme et tous les deux jours du thé avec du tafia. Nous faisons 250 heures de plongée par mois et la température peut atteindre 67 degrés sur les moteurs électriques, inutile de dire que nous sommes en tenue légère et que chaque mouvement nous fait transpirer. Nous avions aussi quelques passagers indésirables : des rats, mais j'avais de la chance car ils avaient décidé de se loger à bâbord; alors que j'étais à tribord; et plus particulièrement dans une couchette du milieu où ils grignotaient les pieds de l'occupant sans le réveiller. Il avait été constitué une équipe de prise composée d'un officier, du maître principal mécanicien et de 5 quartiers-maîtres dont je faisais partie. Nous passions environ 17 heures par jour en plongée et la nuit si le temps le permettait nous allions à tour de rôle fumer une cigarette dans la baignoire. Le schnorchel n'existait pas et lors des plongées longues nous devions utiliser de l "auxilite" pour purifier l'air. La plupart du temps nous étions couchés, car il était interdit de circuler dans le bord pour éviter de faire bouger le bateau. Un homme à la fois se déplaçait de l'avant à l'arrière même pour aller chercher le repas. Au poste arrière nous logions à 18 sur 25 m carrés. Généralement nous mangions assis sur le sol ou sur les couchettes inférieures. L'eau manquait également et il était interdit de se raser et de se laver les derniers jours de patrouille. Le 14 Octobre 1939 nous appareillons direction les Canaries. Le ravitaillement pour 15 jours fait. Ces patrouilles se passaient généralement bien. Un jour devant Porto Cruz, le maître torpilleur; maître de central; fait ou commande une fausse manœuvre et le sous-marin fait surface alors que c'était l'immersion périscopique qui était commandée. La prise de surface se fait au milieu d'une flottille de pèche qui se disperse avec précipitation sans chercher à savoir ce qui se passe. Il y eut naturellement les félicitations du commandant pour le maître Torpilleur; Les patrouilles se déroulaient toujours de la même façon, en surface la nuit et recherche du trafic, identification et surveillance des bateaux et communication des renseignements à Casablanca. Quelques uns furent interceptés au canon mais laissés continuer leur route après communication et vérification de leur identité. Un jour vers 5 heures du matin je me trouve dans la baignoire lorsque le timonier signale une fumée à bâbord avant. Je dégringole dans le kiosque puis au central et je me dirige rapidement au poste arrière. La prise de plongée est déjà en cours. Soudain un bruit anormal et je vois un béret qui s'engage entre les roues dentées de la commande de la barre de plongée arrière. Je l'arrache rapidement et le jette dans la boite à ordures. Hélas ce béret avait réussi à déformer l'axe d'une roue dentée et la barre s'est bloquée dans cette position "a descendre". Par téléphone le central nous demande de manœuvrer à la main, mais à 3 nous ne parvenons pas à redresser l'angle de barre, et nous arrivons à 50 mètres avec une bonne pointe négative. Le pendule de pointe est sur son butoir. Le chien du bord "Casa" n'arrive pas à se tenir et dégringole vers le poste avant. Des objets qui n'étaient pas arrimés tombent, un verre tombe d'un caisson cause une coupure à un mécanicien. Je me dis "on va boire la tasse ce coup-ci" et je ne dois pas être le seul à le penser. Nous atteignons 60 mètres. Cette immersion est proche du maximum que peut atteindre sans danger ces sous-marins. Le maître mécanicien réussit à atteindre les manœuvres des purges et à les fermer. Il faut rappeler que l'accident s'est produit alors que le sous-marin plonge donc les purges sont ouvertes. Il y a une chasse importante d'urgence et le sous-marin fait surface comme un bouchon. Une petite explication. Lorsque l'on chasse aux ballasts, la chasse est faible à forte profondeur, car l'air se détend au fur et à mesure que le bateau monte. Une chasse forte est employée à faible immersion pour faire surface par gros temps et passer rapidement de la flottabilité négative à la flottabilité positive avant qu'une vague trop grosse ne vienne faire basculer le sous-marin. Inutile de dire que nous poussons un gros "Ouf". Ne pouvant plus plonger, le retour vers Casablanca se fait en surface avec une veille renforcée. Le passage sur le dock est obligatoire. C'est l'occasion de vérifier les appareils de secours et il y a des surprises. Les plombs de lestage, sous la quille, sont complètement bloqués, le câble de la bouée téléphonique qui est larguée en cas de danger est complètement rouillé. S'il nous avait fallu faire usage de ces appareils ils n'auraient pas fonctionné. Les patrouilles dans cette partie de l'Atlantique ont continué. En septembre 1940, j'ai quitté ce sous-marin et j'ai regagné la France. Ce fut l'incident important que j'y ai vécu mais aujourd'hui encore je l'ai en mémoire et il y a certainement un bon nombre de sous-mariniers qui ont vécu un pareil incident qui "fout la trouille". C'est en novembre 1942 que le "Psyché" fut bombardé par les avions de la Task Force 34. Endommagé il ne fut condamné qu'en 1944.
Les commentaires
Ecrit par DESCHAMPS ALAIN Je suis très ému de retrouver ce témoignage de mon père sur votre site, il était très discret sur cette partie de sa vie qu\'il a risqué sans doute plusieurs fois ainsi que sur sa captivité en Allemagne qui a suivi malheureusement mais dont il est aussi revenu. Merci pour tous les témoins de ce site. |
Ecrit par BUFF Daniel Depuis 2008, je fais des recherches sur mon père Emile BUFF qui se trouvait sur le sous-marin la PSYCHE comme matelot électricien, basé à ORAN de 1939 à 1942, j'ai vu une photo de lui avec un groupe de matelots déjeunant sur le pont du sous marin, sur votre site, j'ai moi même des documents et photos de cette époque et j'aimerais entrer en relation avec des personnes concernés par ses recherches, dans l'attente d'une réponse positive. |
Ecrit par Valérie Merci à Monsieur DESCHAMPS pour ce site. Je viens de reconnaître mon grand-père qui s'appelait Georges JOURDAN. Il était mécanicien. J'aimerais savoir si vous le connaissiez ou si vous auriez d'autres photos. C'est très émouvant de découvrir son grand-père à 22 ans dans une période si difficile. Il est allé ensuite à Casablanca où ma grand-mère l'a rejoint avec les enfants pendant 4 ans. Il est décédé en 1972. Merci à ceux qui l'on connu de me répondre. |
Ecrit par Mireille ARNOUX Quelle émotion de vous lire ! Je suis entrain de parcourir le courrier de mon oncle retrouvé chez mes parents qui a disparu à bord de la Psyché en nov; 1942. J'aimerais savoir si quelqu'un l'a connu : il s'agit de Victor Arnoux, matelot timonier de 21 ans matricule 1118 T.41.Comment ont-ils péri à bord de la Psyché ? Que s'est-il passé ? Merci à tous de me donner des renseignements pour soulager son frère bien fatigué et toujours bouleversé par sa disparition. |
Ecrit par Anonyme Bonsoir, |
Ecrit par lebec Merci l'article est interessant , mais pour ma part je recherche des informations photos etc sur le Loire qui faisait navettes entre l'algérie et la france puis fut réquisitionné par la marine nationale à oran en 39 , par la famille on a qq faits mais ne sachant exactement l'histoire si qq pouvait m'apporter des éléments ou me diriger dans mes recherches, je fais aussi des recherches sur nantes et st nazaire villes où était basé le loire et j'attends...... |
Ecrit par José VASSEUR Bonjour, |
Ecrit par Anonyme je vous remercie pour cet article qui a fait la joie de mon beau père qui était avec vous à bord de la Psyché à CASA. Il était mécanicien; son nom Maurice PARPETTE. |
Ecrit par FONTAINE Mes remerciements aux créateurs de ce site sur la marine. Merci à Monsieur DESCHAMPS pour son témoinage. Est-ce que la mascote "Casa" lapait le vin de votre quart ? |
Ecrit par José Salut |
Ecrit par Anonyme Très sympa, vivant et bien raconté. Ce genre de récit permet de connaitre la vie des sous-mariniers souvent mieux que les gros bouquins. Je savais pas qu'il y avait des patrouilles sur la côte marocaine. Bravo. |