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Le carnet de route du matelot Hilaire André Wadoux - 5

Article publié le mercredi 25 avril 2007

A Bordeaux, le matelot Wadoux a retrouvé tout à fait par hasard son épouse et il va régulièrement pointer à la caserne. Il aurait bien pu comme certains s'évaporer dans la nature et attendre la suite des évènements. Nombreux sont ceux qui n'avaient plus de point de repère, c'était la débacle. Mais non il est marin et il doit poursuivre son engagement . Il quitte Bordeaux sous les bombes avec de nombreux militaires pour une destination inconnue.

De Bordeaux à Toulon

Le train est formé de wagons à bestiaux. Je monte dans l'avant dernier wagon où se trouve une quinzaine de matelots. A peine une dizaine de minutes se passent que le train s'ébranle à petite vitesse. Il était temps ! Où allions-nous ? Tous se posent la question ! Les bruits les plus divers courent quant à notre destination; Au sortir de Bordeaux des camions chargés à craquer de militaires nous dépassent sur la route longeant la voie ferrée, puis disparaissent dans la nature. Quant à notre train nous devons égrener nos 30 à 40 kilomètres heure. A cette vitesse- là , si jamais des avions ennemis nous repèrent nous sommes bons pour la haute voltige et pas un d'entre nous ne possède d'arme. En cas d'attaque il ne nous reste plus qu'à chanter la Marseillaise à reculons. Tous autant que nous sommes, nous cherchons à savoir vers quelle destination nous nous rendons. A chaque arrêt du train nous essayons de glaner quelques informations près des officiers se trouvant dans le wagon de 1° classe voyageurs, juste derrière la machine. Les veinards! Même le mécanicien et le chauffeur de la loco semblent ignorer où nous allons. Ils se contentent d'observer les signaux en suivant les rails. Des coups de sifflets tintent et chacun de nous réintègre son wagon à bestiaux et y va de son commentaire.

- Paraît qu'on va à Toulouse.

- Paraît que l'on se rend à Carcassonne.

Un autre encore :

- C'est à Béziers.

Et les commentaire vont "bon train". Et le train roule, roule, c'est charmant comme dit la chanson. Ah! Le train s'arrête de nouveau sur une voie de garage, plus loin il y a une ville que certains croient reconnaître comme étant Agen. Je pense qu'ils sont sur la bonne voie. Tout le long du train, un gars s'égosille dans un porte-voix pour nous signaler quelque chose, mais quoi ? Rien à y comprendre tellement nos gars de la marine braillent, à tel point qu'un matelot placé dans l'encadrement de la porte du wagon à côté du nôtre et qui n'est certainement pas du nord se met à hurler:

-Fatche de con! Vous allez fermer vos gueules! On ne comprend rien de ce que dit notre hurluberlu pédestre!

Au bout d'une dizaine de minutes le silence est à peu près établi. Nous pouvons apprendre que le ravitaillement des hommes va s'effectuer. Effectivement des camions arrivent sur la droite du train, car côté gauche se trouvent les champs, et la distribution commence. Pain, saucisson ou du moins quelque chose de similaire, corned-beef, paquet de petits beurre. En ce qui concerne la buvante, l'intendance a tout prévu. Dans l'un des camions se trouve une énorme caisse de vin. Beaucoup de marins ayant séjourné à Achard ont emporté leur quart, quelques- uns ont récupéré des boîtes de petits pois vides, cela est courant dans la marine ainsi l'on a sa "moque". D'autres comme moi n'ayant pas de récipient; nous sommes peu nombreux; doivent se mettre à quatre pour avoir un litre de vin. Pour ce qui est de la resquille! Parlons- en ! Certains hommes s'en vont boire leur pinard dans un coin et reviennent prendre place dans la file. Après cette ample distribution, chacun regagne son wagon et c'est l'exercice des mâchoires. Les estomacs remplis, certains d'entre nous ont repéré des wagons citernes de l'autre côté de la route. Qu'y a-t-il dans ces foudres? Ce n'est quand même pas de l'eau bénite! Et dans un pays comme le Midi de la France ce ne peut être que du vin. Quelques- uns d'entre nous dont moi avons l'idée de voir d'un peu plus près, simple curiosité. Oui mais voilà! Deux soldats, réservistes à coup sûr; en armes font les cent pas devant ce trésor liquide, ce qui ne désarme pas notre "marine" et une conversation très sympathique, pleine de cordialité, de fraternité, s'établit entre ces soldats de France de diverses armes, et nos factionnaires armés ; pas comme ceux de Zuydcoote; ont vite compris le but de notre visite très amicale. Du reste l'un de ces derniers nous indique la façon de s'y prendre pour soulager un peu le foudre.

-Vous passez sous le wagon pour vous rendre sur la voie d'à côté. Juste à l'aplomb de celui où nous nous trouvons se trouve le wagon en question. L'ouverture se trouve à la partie supérieure et l'échelle pour y accéder, juste à côté. Dans le caisson en bois il y a un tuyau qui ne sert qu'à siphonner. Pendant l'opération si vous entendez " Merde", vous foutez le camp, car les coups de sifflet attirent les attentions et nous les évitons. N'oubliez pas de refermer la citerne et de remettre le tuyau dans sa boîte.

Nos deux factionnaires s'écartent du lieu de l'opération. Au bout d'une bonne demie- heure tout rentre dans l'ordre. Pendant que certains font le plein d'un côté, de l'autre côté du train c'est -à -dire du côté pâtures, d'autres font le vide pantalon sur les chevilles. Les quelques vaches paissant par là doivent se dire :

-Tiens une exposition!

Ce n'est pourtant pas la journée du patrimoine. Le gros problème de cette opération est la recherche de papier. Même un confetti, vous ne le trouverez pas. Vers 17 heures, un ordre est donné

-Rejoignez les wagons nous allons repartir!

Effectivement après un changement de machine, le train s'ébranle: vers Toulouse. Dès notre arrivée, des wagons vides aménagés en réfectoire et "salles de bains"sont mis à notre disposition. Je pense qu'il est inutile de décrire la salle de bains. C'est vraiment l'avant... l'avant dernier cri. Imaginez un tuyau arrivant de l'extérieur, traversant le wagon dans le sens de la longueur et sur lequel sont imbriqués une quinzaine de robinets. Même au château de Versailles, vous ne pouviez trouver un tel confort pour vos ablutions dermatologiques. Un peu plus loin des latrines à la turque en bois ont été montées en toute hâte. Les expulsions culinaires atterrissent dans de grands bidons en tôle.

Le soir, nous avons droit à un bol de soupe, pour le reste, je ne me souviens plus très bien. Le nuit venue chacun de nous trouve que la position du tireur allongé est la meilleure et opte pour cette dernière. Quelques- uns retirent leurs chaussures, ce qui n'est pas pour plaire à tout le monde, mais les 2 portes sont ouvertes et cela est supportable. De temps en temps un bruit se fait entendre, qui n'est pas, certes provoqué par le plancher, heureusement ! A un certain moment, au beau milieu des ronflements, le train s'ébranle et les ronflements cessent subitement. La vitesse n'est pas excessive, nous arrivons à Carcassonne avec les premières lueurs du jour du 21 juin Après environ une heure d'attente, le jus arrive dans de grandes marmites, puis du pain et des rations de beurre. Encore quelques heures d'attente et le convoi reprend sa route vers Narbonne. À vitesse vraiment réduite. Dès le départ, nous nous apercevons qu'il y a des manquants. Cela était prévisible. Arrêt à Narbonne vers midi et ravitaillement surtout en pinard. L' après-midi se passe à jouer aux cartes pour certains malicieux qui s'en s'ont procurées allez savoir comment. Les officiers se trouvant en tête du train ne font que de courtes apparitions, sans doute pour se dégourdir les jambes. Je pense qu'il ne faut pas trop de contact avec eux car certains matelots commencent à râler au sujet de la nourriture et aussi de leur chambre à coucher. En effet dormir dans la paille ce n'est pas très agréable sauf peut-être pour les amoureux. A la nuit tombée, le train reprend son petit bonhomme de chemin..... de fer. Il y a de très nombreux arrêts en cours de route jusque Béziers puis Montpellier sur le matin, le 22 juin. De la troupe de l'armée de terre nous attend avec du café bien chaud, des petits pains, du beurre et des barres de chocolat. Dans l' après-mdi, en route pour Marseille où nous restons jusqu'au lendemain matin. Très tôt le convoi prend la direction de Toulon où nous arrivons le 23 juin vers 09 heures.

 

De Toulon à Alger

 

Rassemblement sur le terre -plein à côté du bâtiment voyageurs. Là on s'aperçoit vraiment qu'il y a quelques manquants. Un lieutenant de vaisseau muni d'un porte voix nous invite à prendre la route en direction du 5 eme dépôt, en bon ordre autant que possible en colonnes par 4. Que n'avait-il dit là! Pensez que nous avions tous quelque chose à traîner, soit un sac, soit une valise et autres paquets. Quelques quolibets fusent envers ce malheureux officier qui ne sait à quel saint se vouer. Enfin toute la troupe se met en route sans un désordre indescriptible vers le dépôt et quel est notre étonnement en arrivant de voir cette multitude de marins dans la cour. Tous cherchent un visage connu. Vers midi, distribution, et à la queue leu- leu de pain, de singe et pinard. Après ce semblant de repas, plusieurs "sakos" passent parmi nous, demandent que tous les fourriers et secrétaires se rendent à l'aubette. Nous nous retrouvons environ une quarantaine au lieu-dit et chacun est désigné pour se rendre à un endroit bien précis. En ce qui me concerne, nous sommes 5 à être envoyés à l' E.M.C. (École des Mécaniciens Chauffeurs) de Saint-Mandrier. 

L'école (photo de Septembre 2005)

Sur les 5 j'en connais 2. Michel Michel qui avait coulé avec le "Niger" et Ben Soussan arrivant de Rochefort. Et nous voilà dans le paquebot effectuant les navettes: Quai Crondstrat- Saint-Mandrier.

Dès notre arrivée dans cet établissement, nous sommes mis en contact avec l'Officier des équipages: Monsieur Gros qui nous présente au Premier-Maître Bruere lequel nous répartit dans les bureaux. Michel Michel, Ben Soussan et moi-même au bureau administratif, quant aux 2 autres, l'un est dirigé au service de l'habillement et l'autre au bureau militaire. Des hamacs nous sont distribués puis quartier libre jusqu'au lendemain matin. Vu le nombre d'arrivants l' E.M.C. est pleine à craquer ce sera dans le bureau que nous prendrons nos repas et dormirons. Dès notre installation terminée, notre première étape est d'aller boire un coup au bistrot d'à côté, et qui se trouve juste à gauche en sortant . Il s'appelle "Le château vert"; "Château de Verres" aurait été mieux adapté.

 

 Le château vert en septembre 2005 n'est plus qu'un tas de briques.

Comme nous sommes trois, vous comprenez pourquoi trois tournées de vin blanc dévalent en direction de nos estomacs. A notre retour, arrêt à l'aubette afin de nous renseigner concernant la "vaisselle" du fait que nous n'avons ni gamelle, ni quart, ni cuiller, ni fourchette. Le second-maître de service remet au planton un papier sur lequel il avait dû inscrire cette demande de matériel. Ce dernier revient quelques minutes après avec les objets demandés. Nous n'avons plus qu'à attendre l'heure de la soupe.

Attenant au bureau administratif, il existe un local contenant quelques archives et une dizaine de caissons vides ainsi que des crochets pour suspendre les hamacs. Ce sera notre résidence.

Le lendemain matin, soit le 24 juin, à 08 heures, nous voyons arriver le premier-maître Bruere, 3 retraités de la marine nationale occupant des postes divers et un second-maître fourrier Le Bihan lequel s'occupe uniquement des vivres. Mes deux copains sont affectés à divers travaux et je me retrouve adjoint de Monsieur Quere Ernest, un ancien premier-maître fourrier chargé uniquement des rôles d'équipage et naturellement, moi j'hérite des livres de solde (Permanent, Apprentis, Réservistes). Dire le nombre de livrets de soldes qui défilent entre mes mains est impossible. En effet les réservistes arrivent en grand nombre tous les jours et il faut bien les renvoyer dans leur foyer car l'armistice a été signé et il y a démobilisation. Heureusement que je fais équipe avec Monsieur Quere, un breton d'une très grande bonté, toujours prêt à rendre service et avec qui j'apprends beaucoup. Je n'oublierai jamais ce brave homme.

Deux jours après mon arrivée; le 26 juin; je croise le second-maître secrétaire qui se trouvait au bureau militaire de la réserve générale de Boulogne-sur-Mer. Il m'annonce la mort de deux de mes collègues de bureau, tous deux tués lors de la défense de cette ville ,rue Boston. L'un d'eux, Havrais, s'était marié quinze jours avant moi. Décidément , je me suis dit "Wadoux t'as bien fait de demander ton embarquement" sans prévoir ce qui m'attendait.

Quelques jours après, lors de la pause de midi et après avoir cassé la croûte, je me ballade hors de l'école et qu'elle n'est pas ma surprise de rencontrer mon ancien pacha du sous-marin Saphir : Roumeas, qui embarqué comme commandant en second sur le Cyclone avait contribué à l'opération Dynamo. Ce torpilleur avait été torpillé. Je ne m'étonne pas de sa mutation de Commandant de sous-marin à capitaine sur le Cyclone. Je pense que c'était plus prudent, car je me souviens de deux incidents survenus à bord et dont il est préférable d'être muet.

Pendant les premiers jours à Saint-Mandier, je cherche un logement afin de pouvoir faire venir mon épouse laquelle se trouve toujours avec ses parents à Bordeaux et pour cela, il faut une attestation d'un propriétaire. Devant ma détresse matrimoniale, le patron du "château vert" me dit :

-Je vais avoir une chambre de libre, je te la réserve.

Deux jours après, il me fait un papier reconnaissant que je suis locataire.

 Après l'avoir remercié, j'expédie mon précieux document à mon épouse et quelques jours après cette dernière atterrit en gare de Toulon.

Embarquement quai Crondstrat pour Saint-Mandrier .... et enfin seuls. Dans les jours qui suivent elle trouve une petite maison de 2 pièces; cuisine et chambre, tout cela meublé.

Et les jours s'écoulent en suivant journellement les évènements de la guerre, mais nous sommes dans la zone libre.

Courant Décembre, ma chère épouse me dit

-Je crois que je vais enfanter durant l'exercice 1941.

En effet le 10 septembre 1941, c'est l'apparition de notre fille Nadine. Mon rêve se réalise.

Entre deux mon épouse a dégoté un 2 pièces à Toulon.

Vers le début décembre, qui je rencontre près de la place d'armes ? mon pacha du Foudroyant, le Commandant Fontaine !

Après m'avoir donné quelques nouvelles des rescapés dont quelques- uns ont été faits prisonniers et qu'il a réussi à faire rapatrier en étant à Vichy. Il me pose la question :

-Et toi ,que deviens- tu ?

Je lui explique ma situation. Etant en permission libérable, l'officier des équipages des l'E.M.C. m'a demandé de rester à mon poste en tant que civil. Ce que j'ai accepté ne pouvant pas retourner dans le nord.

-Tu ne vas pas rester là. Il faut foutre le camp! Demain matin, tu me fais une demande pour rentrer dans la G.M.L. (Gendarmerie Maritime Légère), corps qui a été créé au nez et à la barbe des allemands.( voir dans le livre "La grande mêlée" pages 82-83 d' Etienne Petit).

J'avoue que j'ai entendu parler de cette création, quelques temps avant, mais je n'y ai pas porté une attention particulière.

Donc le lendemain matin, au bureau, je fais cette demande et la fais parvenir à mon pacha qui se trouve en mission à la Préfecture Maritime à Toulon pour quelques jours. Environ une semaine après je reçois une convocation à me rendre à l'École de la Gendarmerie Maritime légère au Mourillon et où je suis incorporé au P.6.

Le peloton 6 (2° à droite au 2° rang)

 

 A l'instruction sur le Mont Faron, nous portons la veste de cuir et le casque des motocyclistes.

Pendant 6 mois , je peux dire que j'en bave. Outre les leçons du règlement de la gendarmerie, c'est sport à outrance ou initiation au combat. Tous les mercredis, c'est la "promenade" de 30, 40 kilomètres avec exercices en cours de route ( tirs, etc.) Après 6 mois de ce régime , examen et affectation , en ce qui concerne le P.6, c'est Alger. le P.5 est déjà en poste à Bizerte. Après un mois en subsistance à Marseille, embarquement avec armes et bagages sur le "Tirman " sous la surveillance d'un représentant de la commission d'armistice. Il est comme 3 pommes à genoux et nous croyons qu'il va s'envoler lorsqu' il fait le salut hitlérien.

Sur le "Tirman" en route pour Alger

Appareillage vers 17 heures et arrivée le surlendemain à 06 heures du matin à Alger ,La Blanche comme on l'appelle. Sitôt débarqués un camion militaire vient charger nos bagages pour les transporter à la caserne Pélissier qui se trouve derrière les bâtiments de l'État-Major et avec vue sur la mer. Tout a été préparé pour nous recevoir.

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