Le carnet de route du matelot Hilaire André Wadoux - 3
De Dunkerque à Bordeaux
Vers 5 heures le 4 juin nous voici sur les côtes anglaises. Une vedette britannique arrive en reconnaissance et nous indique l'entrée du port de Douvres.
Enfin ! Une fouille sommaire dès nos premiers pas sur le quai. Puis regroupement de tout ce petit monde, près d'un train de voyageurs. Des dames passent parmi nous, distribuant, sandwichs, chocolat et fruits. Boissons : thé ou café. Adieu notre bon "Gwin Ru ".
Après une heure d'attente environ, embarquement dans les wagons près desquels nous sommes. Puis nouveau ravitaillement avec en plus des cigarettes. Nous sommes vraiment gâtés par des dames de la Croix Rouge, notre façon de les remercier est de les applaudir quand le train s'ébranle.
L'accueil qui nous est réservé à notre arrivée à Douvres est plus que sympathique, bienveillant et fraternel.
Le convoi prend ensuite la direction de ???? ...... pour s'arrêter dans un triage( je pense dans la banlieue de Londres) Nouveau ravitaillement et notre train reprend la route pour où ? Nous le savons à l'arrivée : Southampton . Sitôt débarqués du train nous prenons place dans des bus qui nous déposent dans une espèce d'école se trouvant à la périphérie de la ville et où est déjà arrivée la troupe du front de Dunkerque . Dans le milieu de la cour, une quinzaine de chaises bien alignées sur lesquelles nous sommes priés de nous asseoir chacun à notre tour afin de nous faire couper les cheveux. Je pense que ce n'est pas de fantaisie pour certains. Enfin les cheveux gratuitement coupés, c'est la douche. Ces dernières ont été construites en toute hâte car certaines sont dépourvues de porte. Qu'à cela ne tienne, aucune réclamation et allez .... allez, tous en enfilade les uns derrière les autres . Naturellement je ne cite pas les quolibets qui fusent de toutes parts concernant les "pendentifs".
Enfin un petit moment de détente.
Après ce nettoyage énergique, quartier libre dans l'école et autour de celle ci, surtout pas trop loin. De nombreux civils nous rendent visite et c'est ainsi que Julien et moi- même sommes interpelés par un britannique d'une cinquantaine d'années et parlant français. Il nous demande d'où nous venons. Au nom de Dunkerque, il nous prend chacun par une épaule et nous dit qu'il nous invite chez lui. Il demeure à environ 2 à 300 mètres de notre "école". Sitôt arrivés chez lui nous sommes accueillis par une dame qui est son épouse et qui parle un français impeccable. Nous apprendrons un peu plus tard que tous deux sont professeurs de français. Après nous avoir installés les fesses dans un fauteuil d'osier se trouvant dans un espèce de patio il nous dit :
-Mes enfants je vais vous dire ce que l'on dit chez nous : Nous allons prendre un pot ! c'est comme cela que nous disons lorsque nous allons en vacances à Nice dans notre maison.
Julien et moi sommes stupéfaits.
Enfin la dame nous apporte dans de gros verres une boisson très fraîche dont je ne me rappelle plus le nom. Le monsieur nous offre des cigarettes que du reste je refuse, j'ai horreur du tabac anglais. Cela intrigue notre hôte, et il me dit qu'il est rare de voir un jeune homme ne pas fumer, et je lui donne la raison de mon refus :
-Je ne fume que la pipe.
Il se lève et revient avec une pipe toute neuve et une boite ronde contenant du tabac à pipe qu'il faut rouler dans ses mains avant de l'introduire dans la pipe. Je ne sais comment le remercier.
Enfin nous sommes invités à passer à table dans la salle à manger où nous attend une jeune femme que la dame nous présente comme étant sa fille. Je ne me rappelle plus ce qui nous est servi, par contre, nos hôtes, pour la "buvante" ouvrent une bouteille de vin de France ( sans doute rapportée lors de leurs nombreux voyages à Nice).
Les agapes terminées nous prenons congé de la dame et de sa fille les remerciant de leur invitation et leur promettant de leur écrire, ce que nous aurons du mal à faire n'ayant pas noté leur adresse. ( ça c'est français). Notre hôte du soir vient nous reconduire jusqu'à la porte du camp, et nous nous séparons en nous congratulant.
Les classes de cette école maternelle sont transformés en dortoirs avec des matelas sur le sol et des chaises longues. Les lumières sont éteintes et Julien et moi guidés par un territorial britannique atterrissons sur un vieux sommier. Heureusement il fait très chaud et la fatigue aidant, les rêves ne tardent pas à faire leur apparition.
Le 5 juin vers 6 heures, on nous fait sortir afin de boire du café, ou du thé. Après un lavage sommaire, en dessous de robinets, qui s'arrêtent à tout instant, nous sommes remis dans la cour, 3 groupes sont formés, chacun composé d' hommes de la même armée . Les biffins sont les plus nombreux.
Vers 8 heures des cars à impériale viennent nous chercher, puis prennent la route pour Portsmouth. Dès notre arrivée, embarquement sur des espèces de navettes qui nous conduisent à bord d'un paquebot mouillé à l'île de Wight. D'autres bateaux amènent de la troupe à bord. On remarque que plusieurs cuisines ont été aménagées afin de nourrir tous les soldats et marins.
Dans l' après-midi des officiers de marine regroupent le plus de marins possibles. On nous répartit par groupe de quatre ou six, puis on nous amène aux embarcations de sauvetage et l'on a droit à un cours de mise à l'eau et ordre de rester sur place. C'est dire que le voyage ne sera pas sans risque. Le reste de l' après-midi se passe assis sur le pont. Dès la tombée de la nuit après un repas plus que sommaire vient le départ . Mais pour où ?
Le 6 juin au petit matin, nous sommes en rade de Cherbourg. Débarquement en quatrième vitesse. L'armée de terre d'un côté, la marine de l'autre. En ce qui nous concerne la direction : le dépôt. Dès l'arrivée, interrogatoire : Nom, prénom, matricule, spécialité, quels était notre embarquement, etc...
Puis direction l'habillement après la douche. En sortant de là, quelle est notre surprise à Julien et moi, nous retrouvons dans la cour 6 ou 7 membres de l'équipage du "Foudroyant", arrivés la veille. Naturellement les conversations se concentrent sur les copains du bord, à savoir : un tel a- t' il été sauvé?
N'avez -vous pas vu un tel ? Etc...
Coutenceau : mort. Lesquener: mort. Le cuistot Peterschmitt: tué. Le boulanger Defosse : tué etc...
Nous essayons tant bien que mal de nous remémorer les péripéties du naufrage et par quels moyens chacun a pu s'en tirer. En fin d'après- midi, appels des rescapés, bateau par bateau et direction notre port d'attache le lendemain matin.
Donc le 7 juin, au petit matin, embarquement pour Brest dans un train déjà rempli de civils et militaires. En jouant des coudes notre petit groupe arrive à se placer dans deux compartiments dont toutes les places sont occupées. Certains voyageurs sont assis sur des valises. Nous sommes 4 contents de pouvoir nous accrocher au porte bagage. Les autres collègues se trouvent dans le compartiment voisin et dans la même position que la nôtre. Enfin le train démarre par petites saccades ce qui occasionne :
-Oh mes pieds ! Il n'est pas facile de se tenir debout et lors des secousses des pieds sont malmenés par ceux qui cherchent à se tenir debout.
Les 2 compartiments sont séparés par une porte "jockey" placée latéralement. ( Une porte battante dans le couloir desservant les compartiments)
Dans le compartiment à côté, un monsieur voyant nos copains leur demande d'où ils viennent. L'un d'eux répond:
-Nous étions sur le torpilleur "Foudroyant" et nous avons été coulés en face de Dunkerque.
Le monsieur fait un bond et dit:
-Mais mon fils était embarqué dessus !
-Ah, comment s'appelle votre fils?
-Wadoux!
-Eh bien votre fils est dans le compartiment d'à côté.
Je ne sais pas comment mon père a pu s'extraire de sa place, mais une fois la porte entrouverte je sens une main s'abattre sur mon épaule et parvenant à tourner la tête, qui je vois :
Mon père.
Pendant quelques instants , sidérés, interloqués,estomaqués nous perdons l'usage de la parole. Après nos embrassades, et les récriminations des autres voyageurs que nous bousculons nous pouvons enfin expliquer nos aventures. En ce qui me concerne , je lui apprends qu'après notre retour de la campagne de Norvège, nous avons pris la direction de Dunkerque pour procéder à l'évacuation des troupes et c'est là que l'aviation ennemie nous a bombardés et coulés.
Quant à mon père, comme je l'ai dit plus haut, ordre lui fut donné de se rendre à St Vaast La Hougue. Les femmes furent prises en charge et partirent dans un bus ..... Mon père et son équipage durent se rendre aux Affaires Maritimes. Là on lui annonça que son bateau était réquisitionné. Quant à lui, il devait se rendre avec son équipage au Centre des réfugiés de Douarnenez. Il ignore totalement où les femmes ont été emmenées. Je lui narre dans quelles conditions je les ai vues à Cherbourg. Elles même étaient dans l'ignorance la plus totale sur la destination des hommes.
A l'arrivée à Rennes, le train décharge une certaine quantité de voyageurs partant en direction de Quimper, dont mon père et son équipage. Pour nous, départ en direction de Brest, toujours aussi compressés d'autres voyageurs ayant remplacé ceux descendus.
Arrivée à Brest en fin d'après-midi, direction le dépôt.
Le commandant Fontaine avait eu des informations concernant notre arrivée, car il se trouve à la porte du dépôt pour nous recevoir, on peut dire "les bras ouverts".
Le dépôt de Brest est plein à craquer de marins bien sûr. Après avoir demandé des nouvelles des uns et des autres, le "Pacha" nous apprend que les copains arrivés la veille sont partis en permission le matin même ( 15 jours de permission sont alloués aux marins revenant de Dunkerque) puis se tournant vers moi le commandant me dit :
-J'ai pensé à toi. J'ai dégoté une vielle machine à écrire, et j'ai plusieurs états à écrire, alors demain matin tu viendras avec moi au grenier.
En effet il a trouvé un coin dans lequel prône un vieux meuble qui avait dû être vraisemblablement un bureau et servir comme tel.
Le 8 juin , comme convenu, je me mets au boulot. Vers midi tout était rentré dans l'ordre. Comme la soupe était passée depuis un certain temps, il m'emmène au carré des officiers où règne un brouhaha invraisemblable. La il me fait servir à manger, puis il me quitte en me priant de donner de mes nouvelles.
En quittant le carré et n'apercevant plus mes copains, je pars au bureau militaire où je me fais établir une permission de 15 jours. Ne pouvant retourner chez moi à Malo- Les- Bains, je décide d'aller rejoindre mon père au " Centre des réfugiés" de Douarnenez, car je ne sais pas où se trouve mon épouse qui a dû évacuer Dunkerque avec ses parents.
Muni de ce précieux papier je m'apprête à quitter le dépôt quand soudain 2 camions entrent dans la cour, chargés de sacs postaux. En quelques minutes des tables sont montées et les sacs vidés de leur contenu. Des volontaires se mettent à trier les lettres en vrac, mais peu nombreuses, car la poste navale a déjà fait de nombreux paquets bateau par bateau. Un officier énumère les paquets et demande qu'un membre de chaque navire se présente afin de prendre en charge le paquet afférent à son bateau. Naturellement certains paquets restent en souffrance faute de représentant.
Au nom Foudroyant, je me présente et l'on me remet le paquet destiné à notre navire. 6 lettres en tout et une pour moi.
Après avoir rendu les 5 lettres dont je ne pouvais fournir les adresses, je m'empresse d'ouvrir la mienne provenant de mon épouse me déclarant qu'elle quittait Dunkerque avec ses parents pour se rendre à Bordeaux, du fait que son beau-père (2eme époux de sa mère) étant peseur juré au port de Dunkerque avait reçu l'ordre de se rendre à Bordeaux.
Muni de ce renseignement je me rends dare-dare au bureau militaire et je fais changer la destination de ma permission.
Puisque je n'avais pas d'adresse je fais marquer"centre des réfugiés" de Bordeaux.
Après tout au "petit bonheur la chance".
Ensuite je me rends en ville afin d'acheter de quoi me raser et une petite valise avec l'argent distribué, soit disant en avance, par le dépôt de Brest (Je touche 500 francs de l'époque soit l'équivalant de 10 mois de paye environ), puis je me rends en gare afin de me renseigner sur les horaires de trains susceptibles de partir en région girondine. Après avoir "hélé" plusieurs messieurs que je suppose être des cheminots, l'un d'entre eux me dit:
-Mon gars la gare reste ouverte, viens demain matin de très bonne heure, car nous formons les trains selon les ordres des autorités militaires et selon le matériel disponible.
Mon parti est pris, vite pris. Je me rends rue de Siam ( que tout bon marin connaît) et entreprend de me restaurer. Puis retour en gare qui est pleine de monde; civils et militaires; afin de lire le tableau où sont inscrits les départs de trains. Un homme n'étant qu'un homme, assis sur le sol comme de très nombreux voyageurs ,je m'endors la tête sur ma petite valise malgré le bruit infernal qui règne dans le hall.
L'envie de me soulager de quelque part me réveille vers les 4 heures du matin du 9 juin. Après avoir procédé aux vidanges nécessaires dans ce lieu qui s'appelle soi-disant "Toilettes"( il faut avoir un certain courage et un nez bouché pour s'y rendre). Dans certains cas des rigolos auraient dit "fais attention à la marche",mais dans le cas présent, vaut mieux dire: "fais gaffe à ne pas marcher dedans". Après avoir bu un café à l'ouverture du bistrot du coin, je reprends ma faction dans la salle des pas perdus de la gare. Mon attente n'est pas de longue durée, en effet un train est prévu vers 06 heures 30 en direction de Bordeaux via St Pierre Des Corps. Sitôt le matériel en place et la voie annoncée, c'est la ruée vers les wagons. En ce qui me concerne, je suis un des premiers derrière la chaîne qui sitôt libérée, me permet de faire un sprint vers la tête du train, et bien m'en prend car derrière moi c'est la ruée avec cris et lamentations le tout agrémenté de quelques "casse-gueules".
Bon ! Je monte dans le premier wagon derrière la machine il est encore vide, mais pas pour longtemps. C'est un wagon avec une porte tous les 2 compartiments. Pour ne pas être importuné par les voyageurs, je rentre dans le compartiment n'ayant pas de portière et je m'installe dans le coin de la banquette. Le couloir est central, les places se font face deux par deux. Le wagons se remplissent à la vitesse "grand V" . J'hérite comme compagnon de voyage d'un couple d'environ la cinquantaine bien tassée et surtout bien enveloppée et un jeune garçon âgé d'environ une dizaine d'années. La dame se place à côté de moi, le mari et le gamin en face de nous. C'est bien calculé car le couple côte à côte vu la largeur de leur fessier n'aurait pu se loger sur une seule banquette. Il y a des paquets et valises par terre, car ceux n'ayant pas trouvé de place à terre ont placé leur bagage dans les porte bagages. En cours de route il ne faut pas avoir envie de se soulager car même les "waters" sont occupés par des personnes debout. Enfin peu de temps avant que le train ne démarre , un employé de la gare muni d'un porte voix précise que les 4 voitures de queue vont à Bordeaux en passant par Tours et que les autres vont également à Bordeaux mais en passant par Nantes. Il est temps, heureusement je l'ai lu en début de quai. Donc pas de chambardement, malgré quelques râleurs qui s'en prennent aux chemins de fer et leurs employés. Un coup de sifflet strident (c'est vrai ils savent siffler fort) et le train s'ébranle crachant des escarbilles qui entrent dans certains wagons dont les vitres sont baissées vu la chaleur. Dès le départ, je tourne la tête dans mon petit coin et m'assoupis malgré les quelques coups de fesses de ma voyageuse d'à côté, qui , elle aussi tente de prendre la meilleure position possible afin d'assouvir sa fatigue. Quant à moi balancé par le tac-à-tac des essieux sur les rails je finis par tomber dans les bras de "Morphée", pas très longtemps, mais assez de temps pour m'apercevoir que la charmante dame "d'à côté" a trouvé le moyen de glisser sa jambe sur la banquette en face entre son marri et son gamin, ce qui me coince contre la paroi du compartiment. Il y a des moments où l'on regrette de ne pas posséder une aiguille, même si l'on n'est pas méchant.
A Nantes aucun voyageur n'a le droit de descendre à cause d'une manoeuvre très lente en vue de détacher les 4 wagons en queue de train et allant en direction de Tours. Ces wagons sont remplacés par 4 autres pour des voyageurs en attente sur le quai. Des soldats faisant office de policiers les maintiennent éloignés du bord du quai évitant tout accident ou incident. Mais dès que les deux parties de train sont jointes, c'est la cohue et la ruée vers les portières : mortel !
La discipline chez les Français! Pardon! Plus personne ne s'occupe de personne. Lorsque l'on a fait la campagne de Norvège et Dunkerque, voir ce genre de tableau vous laisse songeur.
Bon, enfin le train repart et je me retrouve avec un gosse sur les genoux(environ 3 ans). J'aurais préféré la mère, mais peut-être aurais- je eu des ennuis avec le mari!. En attendant l'enfant est d'une sagesse exemplaire jusqu'à Bordeaux où nous arrivons vers 16 h 30 si ma mémoire est bonne.
A suivre
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