Historique du sous marin DORIS

Doris I - Plongée 1998-2000 - La perte d'un Sous-Marin

Article publié le dimanche 12 sept. 2004

Perte

de la Doris

Le 8 mai chaque année, nous commémorons la Victoire; or ce même jour aussi, il y a soixante ans, au large de la Hollande, la'Doris était portée disparue. En cet anniversaire de l'une de nos toutes premières pertes au combat, qu'il nous soit permis de rappeler ici les circonstances de la fin de ce sous-marin dont tout l'équipage avait péri. Nos sous-marins en mer du Nord Au début de l'année 40, devant l'accroissement de la menace allemande, l'Amiral de la Flotte avait offert à l'Amirauté britannique le concours de nos sous-marins des 2', 13' et 16' divisions qui, à partir de ports anglais, allèrent opérer en mer du Nord, sous le commandement tactique du « VA (S) », le vice-amiral Horton, comman­dant les sous-marins britanniques. Partis en février de leur base de Toulon pour Bizerte, les quatre « 600 t » de la Be DSM, Doris (CC Favreul, commandant la division), Thétis, Circé et Calypso, durent interrompre leur entraînement et transiter vers l'Atlantique pour rallier Brest afin de s'y ravitailler et tenter aussi de pallier de nombreuses défaillances d'équipements; puis ce fut, après de trop sommaires réparations, leur appareil­lage en compagnie de l'Orphée, pour Harwich où se trouvaient déjà les autres « 600 t» de la 16' DSM, Antiope, Sibylle etAmazone, ainsi que le ravitailleur Jules Verne, portant la marque du CV de Belot, chef du groupe.

Les « 600 t » à Harwich

Outre ces défaillances qui, malgré leur récente refonte, avaient déjà fréquemment affecté une part des équipements vitaux de nos « 600 t », l'insuffisance des performances de ces sous-marins de conception ancienne et destinés à des opérations côtières de courte durée menées depuis une base française dûment équipée, faisait douter les états-majors de leur aptitude à affronter l'ennemi dont on savait le petit sous-marin côtier doté de diesels endurants. En revenant de leur éprouvante patrouille, nos équipages n'avaient pas droit au repos: sans hébergement à terre, pendant qu'un petit nombre bénéficiait des postes du Jules Verne, les autres restaient à bord de leur unité pour procéder sans répit à l'entretien ainsi qu'aux répara­tions avec le seul concours des spécialistes du ravitailleur dont l'atelier n'avait pu être suffisamment approvisionné avant son appareillage de métropole; pendant la trop courte halte séparant deux patrouilles, le sous-marin devait quitter dès que possible son poste à quai ou à couple de sa base flottante et mouiller dans l'estuaire, soit pour dispersion lors des très fréquentes alertes aériennes, soit pour sa démagnétisation : on venait en effet de constater que la Luftwaffe mouillait devant les ports des mines dont le type magnétique était jusqu'alors Inconnu.

Vers les secteurs de patrouille

Le sous-marin devait naviguer en plongée le jour pour éviter le danger aérien, en surface la nuit pour recharger ses batteries et pour éviter les méprises, le VA (S) avait imposé une tactique très contraignante: en raison du rapprochement des secteurs et de leurs possibles change­ments ordonnés par brefs signaux radio codés susceptibles de ne pas avoir été reçus, le sous-marin avait interdiction d'attaquer un bâtiment sans l'avoir identifié avec certitude comme ennemi; or, en comptant les bâtiments polonais intégrés à la Home Fleet et les hollandais neutres, cinq marines fréquentaient la mer du Nord et l'identification de nationalité du sous-marin aperçu n'était possible qu'à courte distance, voire par émission du signal codé de reconnaissance; l'ennemi allemand dont il fallait ainsi s'approcher, avait donc toute chance d'être le premier en mesure de lancer; on savait que les sous-marins hollandais non détenteurs du code pouvaient être rencontrés dans la zone de patrouille alliée dès la sortie de leur base du Helder par la passe du Texel. Le 19 avril en même temps que l'Orphée, la Doris appareille pour une première mission de surveillance devant Héligoland, mais elle doit revenir prématurément sur un seul moteur, le compresseur d'insufflation de son diesel bâbord en avarie; l'Orphée, dont le commandant pense avoir torpillé un U-Boot, doit elle aussi abréger sa patrouille et retourne le 24, un moteur électrique endom­magé pendant une charge rapide des batteries; le 25, au retour de la Doris, les joints expédiés par Cherbourg se révélant non utilisables, pour pallier l'avarie de compres­seur, la livraison « d'un ensemble complet de cylindres et pistons pour compresseur .de moteur Schneider» est demandée aux CN, mai en vain, car cet équipement à acheminer par mer est détenu par Toulon. Le 1er mai, le chef du groupe rend compte à l'Amirauté française de l'état de la Doris, puis il l'informe de la nécessité de renvoyer à Cherbourg l'Orphée, revenue le 2, victime d'une nouvelle avarie de moteur électrique et il demande pour la remplacer le détachement d'un autre « 600 t ». Le 3, le renseignement britannique signalant plusieurs mouvements d' U-Boote dirigés vers le barrage allié, le VA (S) prévoit de resserrer son dispositif; pour compenser l'absence de l'Orphée, le chef du groupe fait mettre tout en œuvre pour que la Doris soit en mesure d'appareiller: « Son moteur bâbord sera alimenté par l'air d'insufflation du moteur tribord et si nécessaire par un compresseur auxiliaire, mais cette disposition ne donnera à ce moteur que la moitié de sa puissance ».

Invasion de la Hollande

Cependant le 6, les Alliés jugent imminente l'invasion de la Hollande et l'ennemi est suspecté aussi de vouloir débarquer des commandos par la côte; alors que la Circé rentre prématurément pour avarie de barre de plongée, le CV de Belot communique à ses commandants les instructions du VA (S) qui vient d'ordonner le renfor­cement du barrage et l'appareillage de toutes les unités « non retenues pour avarie majeure» ; recevant ainsi l'ordre de partir, malgré le danger pressenti, «le CC Favreul ne fait alors aucune objection» et le 7 mai à 15 h 30, avec le Shark, les Doris et Amazone appa­reillent pour rejoindre les étroits secteurs jointifs qui leur ont été assignés devant la côte hollandaise, dans la zone où patrouillent Thétis, Calypso, Sibylle, Antiope ainsi que les britanniques Sturgeon, Snapper, Seawolf et Triad, et que certains d'entre eux doivent prochainement traverser pendant leur transit de retour (1).

La fin de la Doris

La nuit du 8, « par une mer éclairée par la lune, l'horizon marqué par les feux de nombreux bateaux de pêche », l'Amazone patrouille en surface dans son secteur rectangulaire de 10 sur 20 N, à près de 45 N du Texel, quand à 23 h 18, les hommes de quart « observent une immense boule de feu s'élevant à l 'horizon et perçoivent troisfortes explosions»: ils sont certains d'avoir assisté, sans pouvoir en déterminer la cause, àla fin de la Doris, dont le secteur était contigu à celui de l'Amazone, l'effet d'une mine ou un torpillage par méprise n'étant pas encore exclus. A partir du 9, jour de l'entrée de la Wehrmacht en Hollande, bien que la radio allemande captée en Angle­terre annonce que « un sous-marin ennemi a été détruit par nos forces en mer du Nord », trois changements successifs de secteur sont ordonnés jusqu'au Il aux Doris et Amazone pour qu'elles patrouillent plus près de la côte; le 12, il est demandé à la Doris qui doit être relevée par la Circé, de signaler sa position; le 15, comme elle n'a toujours pas répondu aux appels radio, le VA (S) se résout alors à faire connaître aux états-majors « qu'il la considère détruite, probablement torpillée par un sous­marin allemand» ; lorsque en France les familles sont individuellement prévenues, il est ensuite publiquement annoncé, état de guerre oblige, que la Doris a disparu corps et biens « en mission de surveillance dans une zone minée par l'ennemi ».

Rapport de l'U 9

L'analyse des archives de la Kriegsmarine, effectuée dès la fin de la guerre par les forces britanniques d'occupation, avait montré que la Doris avait été torpillée par l'U 9 ; en effet, selon le « Kriegstagebuch » de ce sous-marin de type II B (250 t) et dont nous venons d'obtenir la copie intégrale, l'action est relatée comme suit, l'heure de ce journal traduite ici en heure française. Le 6 mai, après réparation d'avaries, l' U 9 appareille d'Héligoland pour patrouiller vers le sud avec l'U 7 ; puis, après divers parcours entrecoupés de stations posé sur le fond, son commandant, l'EV 1 Lüth, rapporte: « Le 8, 21 h 27, fais sUlface devant la côte, recale ma position ». « 22 h 50: ciel étoilé, vent est 2, bonne visibilité, nuit sombre de nouvelle lune, mer scintillante,. aperçu à 3/4 000 m sous-marin feux masqués sur bâbord à l'est devant feux de pêcheurs,. commencé l'attaque, ai malheu­reusement l'horizon clair à l'ouest, adversaire fait route inverse cap 320 environ puis vient en route parallèle au 140 et marche temporairement à grande vitesse si bien que sa lame d'étrave est visible,. viré pour lancer lorsque l'adversaire vient sur moi,. abattu, repris de la distance ,. adversaire à nouveau route au Nw. » « 23 h 14 : hauteur nord Ijmuiden, fort scintillement de la mer,. gerbe avec G7E (électrique) immersion 2 m et G7 A (air) immersion 3 m, distance 700 m, gyro­déviation 60°, visé 20 m s/AV et 30 m s/AR, je marche sur électrique bâbord à petite vitesse pour cacher ma lame d'étrave,. après 52 s = 780 m, forte détonation, trajectoires visibles G7E à sillage hélices, G7 A à sillage bulles d'air a touché à l'arrière du kiosque,. détonation augmente d'intensité,. colonne de feu 25 m de haut, blanchâtre en bas, rouge en haut puis nuage de fumée 100 m de haut,. débris volent de partout jusqu'à 50 m de nous,. tâche d'huile de 500 m de diamètre aperçue, rien de plus à voir, forte odeur de poudre et d'huile,. bâtiment paraissait faire environ 1 000 t, avait un kiosque rela­tivement bas mais long, peut-être du type « Grampus » ,. un canon de pont n'a pas été remarqué. » « 23 h 26 : seconde détonation entendue, rien aperçu, ce devait être la G7E en fin de trajectoire, arrêtée après 12 min de marche,. remis en route vers Scheveningen pour recaler ma position. »

Interprétation du rapport

L'U 9 ne tarde pas à identifier comme n'étant certainement pas allemand le sous-marin aperçu, vu sa taille et la forme de son kiosque: il se dispose très vite à attaquer la Doris qui ne semble pas l'avoir vu, du moins jusqu'à ce qu'elle se retourne en forçant l'allure, probablement sur son seul moteur tribord, pour mieux évoluer et aussi prendre de la distance, ayant vraisem­blablement observé les évolutions d'un sous-marin non identifié vers lequel elle n'a pas pu ou voulu émettre le signal de reconnaissance; mais on ne pourra jamais déterminer si en se retournant à nouveau, la Doris a voulu faire face à un ennemi, celui-ci en bonne position de lancement, ou si au contraire elle a repris sa route initiale, pensant avoir rencontré traversant son secteur, flanc non éclairé par la lune, un sous-marin allié autre que l'Amazone ou un hollandais. Enfin, de la description du point d'impact, on peut déduire que la G7 A a explosé en touchant la soute à gasoil extérieure bâbord, déclenchant aussitôt la violente explosion des deux. torpilles de la tourelle de pont contiguë. Avec les 40 hommes d'équipage disparaissaient le CC Favreul (EN 18), le LV Ladonne (EN 29), les EV (R) de Dieuleveult et Roche, ainsi qu'un officier de liaison britannique. J. Favreul (EN 52) Sources : Nombreuses archives du Service historique de la Marine dont TTY 213, TTY 430 Témoignages verbaux du CA de Belot et du CV Théréné relatés à l'auteur « Ce que j'ai connu de la guerre avec les sous-marins de la mer du Nord », CF Le Floc'h, 1940, notes inédites, collection de l'auteur Kriegstagebuch de l' U 9, pp. 59 et 60, archives de la Kriegsmarine « An alle Wolfe.. Angriff! », Franz Kurowski « Histoire de la marine allemande 1939-1945 », François­Emmanuel Brézet, Perrin 1999

L'équipage

CC FAVREUL, commandant LV LADONNE, officier en second EV DE DIEULEVEULT EV ROCHE PM timonier GAUDU PM mécanicien LE SCELLER M torpilleur BARVEC M électricien PERACHON M mécanicien LE PHILIPPE SIM électricien POTARD S/M radio MADEC-COUSIN S/M mécanicien BRESSOT S/M mécanicien REBOUTE Q/M timonier KRAEMER Q/M canonnier FITAMANT Q/M fusilier BURR Q/M torpilleur CABON Q/M électricien CLOATRE . Q/M électricien GALLINEAU Q/M électricien GOURTAY Q/M radio MAISS Q/M radio VALETTE Q/M m canicien MENGUY Q/M mécanicien CICCHI Q/M mécanicien REVERSO QIM mécanicien BRES Q/M mécanicien BETAILLE Q/M mécanicien MURACCIOLE Mot timonier BORDET Mot timonier CHEVALIER Mot torpilleur MARCHOIS Mot torpilleur ANDRÉ Mot torpilleur AZEMAR Mot électricien BOVERY Mot électricien KAUFFMAN Mot électricien HUGO Mot mécanicien CHABAUD Mot mécanicien LUSTIG Mot mécanicien MATHIOT Mot maître d'hôtel DUCROCQ Mot cuisinier GAUTHIER Mot Sans spécialité RÉGNIER Personnel Britannique Lieutenant W ESTMACOTT Yeoman of signal WILSON Telegraphist SALES (extrait de l'ordre n° 44 EM1/P du 12 juin 1940 du Groupe Jules Vernes portant citation à l'ordre du Groupe de l'équipage du sous-marin Doris)

Les commentaires

Ecrit par Amstatt
le 2014-04-17 à 11:36:10

Merci à la personne qui a bien voulu me fournir ces renseignements qui me seront précieux

Ecrit par Amstatt Christian
le 2012-09-26 à 14:52:33

Je suis à la recherche d'informations concernant le matelot électricien Jean Hugot disparu avec tout l'équipage dans le naufrage de la Doris ce 08 mai 1940