Historique du sous marin DORIS

Doris I - Allocution de Jacques FAVREUL, fils aîné du Commandant du Sous-Marin disparu le 8 mai 1940

Article publié le vendredi 13 août 2004

Cérémonie à la mémoire de l'équipage du Sous-Marin Doris célébrée le 16 juillet 2004 en mer du nord à l'endroit de l'épave à bord du patrouilleur Pluvier

Texte de l'allocution prononcée par le capitaine de vaisseau Jacques Favreul représentant les familles de l'équipage Fils aîné du capitaine de corvette Jean Favreul commandant du sous-marin Doris, j'ai spontanément accepté la proposition et plus encore l'honneur qui m'ont été faits de représenter à cette traditionnelle et poignante cérémonie toutes les familles de l'équipage, regrettant que la trace du plus grand nombre d'entre elles n'ait aujourd'hui encore pas été retrouvée. C'est donc avec une profonde émotion que je m'exprime en leur nom, dans l'espoir, comme cela m'a été assuré par le représentant de madame le ministre de la défense, que les survivants des familles, informés tant par les autorités que par divers organes de la presse nationale du déroulement de cette cérémonie en mer, signalent leur existence et puissent ainsi être conviés à une autre cérémonie solennelle que la Marine a décidé d'organiser à leur intention le 27 novembre à Brest. La découverte non fortuite il y a plus d'un an, par des plongeurs néerlandais, de l'épave du sous-marin puis son identification formelle par la Marine nationale, permettent que soit enfin levé un pesant silence qui n'avait que trop duré : la position de l'épave et la profondeur relativement faible où elle gît, ensablée maintenant, étaient de longue date connues et les pauvres restes de notre Doris, comme les autres épaves qui gisent au fond de la mer dans ces parages, avaient été signalés depuis la fin du conflit par les pêcheurs comme obstacles pour leurs chaluts. Ainsi, il est très douloureux pour les familles qu'il n'ait pas été décidé plus tôt d'entreprendre la recherche du sous-marin. Alors, pour honorer ces hommes de la Doris MORTS POUR LA FRANCE, en ce moment solennel, nous devons d'abord compatir à la douleur ineffaçable éprouvée par des parents, des épouses, des enfants, en particulier par ceux maintenant décédés, à qui l'on avait annoncé il y a 64 ans peu avant la fin du mois de mai 1940 que leur fils, leur mari, leur père avaient disparu et cela, sans qu'après le conflit, aucune révélation ne leur ait été faite sur les circonstances de la perte du sous-marin, les laissant dans le doute cruel qu'avait suscité pendant l'occupation de la France des agents à la solde de l'ennemi qui avaient intentionnellement répandu la rumeur de l'internement des marins de la Doris. Enfant à cette époque, certainement comme d'autres jeunes orphelins, j'ai longtemps rêvé dans mon sommeil que mon père revenait au foyer. Je sais que des épouses presque toute leur vie durant avaient conservé un tel vain espoir. Récemment encore, le porte-parole d'une famille qui s'est exprimé sur les ondes a dit son soulagement et celui de sa mère de pouvoir enfin apprendre prochainement comment son père était mort au combat. J'ai donc maintenant le devoir de relater, non sans une profonde tristesse, ce qu'après le conflit m'avaient confié sur le départ de la Doris pour sa dernière mission, les sous-mariniers qui avaient pris part aux opérations de mer du Nord. Ne pouvant ici revenir dans le détail sur les incidents qui ont affecté nos sous-marins côtiers opérant loin de leur base, je me contenterai de rappeler que, suspectant des sabotages, l'amiral de la Flotte avait demandé qu'une enquête soit effectuée dans le port de Toulon où les quatre sous-marins de la 13e division avaient subi jusqu'en fin 1939 dans l'arsenal leurs grandes réparations. En effet, depuis leur départ de ce port et au cours de leurs patrouilles en mer du Nord, ces sous-marins avaient eu de nombreuses et anormales défaillances de leurs équipements vitaux, spécialement la Doris qui dût prématurément revenir de sa 1ère patrouille avec le compresseur de l'un de ses deux moteurs en avarie. Faute de pouvoir obtenir de la Métropole un équipement de rechange, cette avarie ne put jamais être réparée et la solution de fortune conseillée à distance par les arsenaux français s'était révélée inapplicable. De ce très grave handicap, qui allait limiter la vitesse et la manœuvrabilité du sous-marin, réduisant d'autant les possibilités de charge de ses batteries pendant les courtes nuits de printemps où, particulièrement vulnérable, il devrait naviguer en surface, tout l'équipage était parfaitement conscient, et selon le témoignage des hommes du sous-marin Amazone lorsque ceux de la Doris apprirent le matin du 7 mai qu'en dépit de l'état de leur bâtiment ne pouvant être propulsé que par un seul moteur, l'ordre d'appareillage avait été imposé, ils se montrèrent consternés, certains pressentant même le sort fatal qui allait être le leur. Lorsque l'aumônier du groupe français eût fait dire aux équipages qu'au moment du départ de leurs sous-marins, il leur donnerait la bénédiction in articulo mortis, des hommes ont pleuré. Le lendemain, dans la nuit du 8 mai à 23 h 15, comme en furent témoins ceux de l'Amazone qui patrouillait dans le secteur voisin, la Doris fut instantanément détruite par de violentes explosions. Comme on le sut plus tard, elle avait été torpillée par le sous-marin allemand U-9, dont je ne relaterai pas ici le témoignage de son commandant. Je me limite à dire le sentiment de consternation qui fut aussi celui de l'équipage allemand, devant la violence de l'explosion qui avait instantanément provoqué la mort certaine de frères d'arme, fussent-ils alors leurs ennemis. Puisque nous sommes au dessus de leur tombe, il nous appartient à partir de maintenant de perpétuer le souvenir des hommes de la Doris qui, parce qu'ils en avaient reçu l'ordre, ont appareillé pour une mission de guerre qu'ils savaient extrêmement périlleuse et ont ainsi librement consenti le sacrifice de leur vie pour la France et pour la cause de ses Alliés. Je tenais enfin à exprimer ici ma profonde gratitude au vice-amiral d'escadre commandant les forces sous-marines françaises, qui à la demande de ma famille a bien voulu décider de se rendre à cette cérémonie avec l'aumônier des sous-marins que je remercie vivement de sa présence. En effet, sans contester que d'autres personnes puissent ne pas partager les convictions de ma famille et celles de beaucoup d'autres, je n'ai pu m'empêcher de penser à nos marins de la Doris qui, pressentant le grave péril auquel ils étaient exposés, avaient pour la plupart d'entre eux avant l'appareillage, comme cela m'a été rapporté, demandé et obtenu les secours de leur religion.

HOMMAGES RENDUS Á L'ÉQUIPAGE DU SOUS-MARIN DORIS

(Pour le "(chiffres en gras)" voir les notes de bas de page) La découverte, en juin 2003, de l'épave (1) de la Doris par deux plongeurs néerlandais a permis qu'un hommage solennel soit enfin rendu, 64 ans après leur disparition (2), aux 45 hommes de l'équipage par une cérémonie qui a été célébrée en mer le 16 juillet à bord du patrouilleur de service public Pluvier au dessus de l'épave qui gît à 35 milles environ du Helder (base principale de la marine néerlandaise). À cette émouvante cérémonie présidée par le vice-amiral d'escadre commandant la FOST et où l'auteur de ces lignes représentait les familles des disparus, ont participé le capitaine de vaisseau attaché naval auprès de l'ambassade de Grande Bretagne à Paris (3), le général du corps des Marines néerlandais chef d'état-major des marines néerlandaise et belge unies (4), le colonel attaché de défense auprès de l'ambassade de France à La Haye (5) ainsi que l'aumônier de la FOST et, comme il se doit, les deux plongeurs auteurs de la découverte sans qui aucune cérémonie n'aurait probablement jamais été célébrée pour perpétuer la mémoire de nos sous-mariniers MORTS POUR LA FRANCE. Après les allocutions prononcées par les participants et la bénédiction donnée par l'aumônier aux disparus en même temps qu'à la mer qui est leur tombeau, des gerbes ont été lancées et les deux plongeurs, Ton et Hans, très émus eux aussi, ont parsemé au dessus de l'épave leurs bouquets de fleurs, montrant ainsi leur intense participation à cette cérémonie. Après la sonnerie aux morts, les hymnes des trois nations représentées ont retenti et nous pouvons êtres fiers, nous Français, que pour une première fois à notre connaissance, une cérémonie du souvenir ait pu être célébrée en mer avec la participation de trois marines, participation qui a confirmé s'il en était besoin la solidarité des sous-mariniers entre eux. En novembre 2003, l'épave du sous-marin avait été formellement identifiée par le chasseur de mines Cassiopée et pour éviter qu'elle ne soit pillée ou détruite, une procédure a été entamée auprès des instances internationales pour que lui soit reconnue le caractère de cimetière marin et qu'elle ne soit pas considérée comme une obstruction gênante. (A l'issue de cette procédure, l'épave sera portée sur les cartes avec son nom, ce qui devrait inciter les pêcheurs à l'éviter) L'épave couverte de concrétions ou rongée par la rouille est très ensablée et les 60 photos prises par les plongeurs en montrent notamment les restes déchiquetés par les deux explosions quasi-simultanées (6). La partie arrière du sous-marin, à l'endroit de l'impact en particulier ("à proximité de l'arrière du kiosque"), n'est guère visible mais la vue de l'extrémité avant du kiosque renversée sur le pont avant et tous les fragments de tôles ou objets encore non identifiés pour beaucoup et disséminés tout autour de l'épave confirment la violence et l'instantanéité de la destruction du sous-marin relatées (7) par le commandant de l'U-9. Cependant, on ne peut acquérir la certitude que le sous-marin ait été coupé en deux et seule l'analyse ultérieure de ces photos et du film tourné par les plongeurs de la Cassiopée pourrait permettre de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse. Il n'y a pas de restes formant aspérités qui ne soient enrobés par de nombreux et très anciens vestiges de filets de pêche. On comprend ainsi les protestations exprimées depuis la fin du conflit par les pêcheurs dont les filets s'accrochaient comme à tant d'autres à une épave qu'ils ne pouvaient identifier. Le 27 novembre à Brest où a été déposé le canon de la Doris qui avait été remonté du fond par la Cassiopée, le Chef d'état-major de la Marine, qui avait décidé (8) d'une Journée annuelle du sous-marin, présidera ce jour-là la Journée du sous-marin ainsi qu'une cérémonie du souvenir à laquelle seront conviés les survivants des familles des disparus dont on espère que nombre d'entre eux auront d'ici-là été en mesure de signaler (9) leur existence, si toutefois ils ont pu être informés par les médias ou par des relations, de la découverte de l'épave et de l'organisation de cette deuxième cérémonie solennelle. -(1) La position de l'épave nous était connue avec une bonne approximation depuis 1940 et elle a été confirmée en 1945 par l'analyse du Kriegstagebuch de l'U-9 -(2) Voir PLONGÉE (illustré) 1998-2000 P.49 à 52 : "Le 8 mai 1940 : Perte de la Doris" -(3) Il y avait à bord de la Doris les trois hommes de l'équipe de liaison britannique -(4) La Doris avait été contrainte malgré son grave handicap d'appareiller de Harwich pour contribuer au barrage de sous-marins établi devant les côtes de Hollande en prévision de l'invasion du pays par les forces allemandes que l'on savait imminente. En hommage aux disparus, le Dolfjin était présent en surface à proximité du Pluvier pendant la cérémonie -(5) qui dès l'été 2003 avait fait informer le ministère de la Défense de la découverte de l'épave -(6) de la torpille allemande et de celles du tube orientable de la Doris -(7) voir plus haut nota 2 -(8) en 2003, année où cette Journée a été organisée à Toulon -(8) Auprès du cabinet du CEMM

 

Ici un monument de la "Doris I" à Bray-Dunes (59

Les commentaires

Ecrit par Liliane Sylvestre (petite fille du PM méca Maurice le Sceller)
le 2004-08-13 à 09:02:29

Que dire de plus, sinon combien ce discours me touche au fond du coeur, et qu'il est riche d'anecdotes qui jusqu'alors était inconnues de nos familles. Merci à Jacques pour cet émouvant discours. Amicalement.